Par une délibération du 15 décembre 2022, transmise en préfecture le 21 décembre 2022, le conseil municipal d’Ivry-sur-Seine a adopté une réglementation relative au temps de travail du personnel, comportant notamment l’approbation d’un avenant au règlement intérieur du personnel de la commune. Par un courrier du 10 mai 2023 réceptionné le 15 mai suivant, la préfète du Val-de-Marne a formé un recours gracieux à l’encontre cette délibération, en demandant simultanément la modification du règlement intérieur du personnel de la commune.
En effet, elle estimait que cette délibération était, au regard des prescriptions des deuxièmes et troisièmes alinéas de l’article 4 du décret n° 2000-815 du 25 août 2000, entachée d’un défaut de précision dans la définition des cycles de travail, en l’absence notamment de mentions relatives aux bornes quotidiennes et hebdomadaires et aux modalités de repos et de pause.
De plus, concernant les sujétions liées à la nature des missions, retenues pour définir les cycles de travail et réduire la durée annuelle de travail par rapport à la durée légale, la délibération litigieuse ne comportait pas, selon la préfète du Val-de-Marne de précision suffisante, relatives à ces sujétions et au lien avec les métiers exercés, en contradiction avec les dispositions de l’article 2 du décret n° 2001-623 du 12 juillet 2001 pris pour l’application de l’article 7-1 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984.
Enfin, dans ledit courrier, la préfète du Val-de-Marne a souligné que le maire d’Ivry-sur-Seine n’a pu légalement refuser de procéder à l’abrogation des dispositions du règlement intérieur prévoyant l’octroi d’une autorisation spéciale d’absence (ASA) de huit jours ouvrables à un agent qui se marie ou se pacse, dès lors qu’une durée maximale de cinq jours peut être accordée pour les agents de l’État, en sorte que les dispositions litigieuses méconnaissent le principe de parité entre fonctions publiques, dont s’inspirent les dispositions de l’article 7-1 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, désormais codifiées à l’article L. 611-2 du Code général de la fonction publique.
Le silence de la commune sur ces demandes a fait naître des décisions de refus le 15 juillet 2023. La préfète du Val-de-Marne a fait un déféré en demandant au tribunal administratif de Melun l’annulation de la délibération du 15 décembre 2022, ainsi que celle de la décision du 15 juillet 2023 de refus de modifier le règlement intérieur. Par une décision n° 2309586, le tribunal administratif a non seulement annulé les articles 1 à 3 de la délibération du conseil municipal d’Ivry-sur-Seine du 15 décembre 2022, mais également l’article 5 de cette délibération en tant qu’il met en œuvre les articles 1 à 3.
1. La définition des cycles de travail nécessite la fixation précise de leurs bornes quotidiennes et hebdomadaires et des modalités de repos et de pause associées
Le tribunal administratif souligne que : « la délibération litigieuse prévoit dix cycles de travail applicables aux agents communaux, à l’exclusion des agents relevant de cadres d’emplois dotés de règles spécifiques en la matière. Aux termes des articles 1 et 2 de la délibération ainsi que de l’avenant au règlement intérieur du personnel annexé, trois cycles sont annualisés, correspondant à une durée annuelle de travail allant, selon la situation des agents concernés, de 1 582 heures à 1 561 heures ou 1 540 heures ; sont également prévus sept cycles chacun d’une durée infra-annuelle variant de 35 à 38 heures, lesquels correspondent à une durée annuelle de travail s’établissant selon les mêmes modalités. Or, il ne résulte d’aucune mention de la délibération litigieuse la fixation de limites au temps de travail quotidien des agents. S’agissant des bornes hebdomadaires, les cycles annuels sont également dépourvus de toute précision à cet égard. Au demeurant, si les cycles infra annuels sont quant à eux définis par des volumes horaires apparaissant, au vu des quotités retenues, correspondre à une durée de travail hebdomadaire, ceci ne résulte d’aucune mention claire. Enfin, cette délibération ne précise pas non plus les modalités de repos et de pause applicables à chaque cycle »1.
Le tribunal administratif considère que la délibération est illégale car l’organe délibérant doit définir ces cycles en fixant de manière précise leurs bornes quotidiennes et hebdomadaires et des modalités de repos et de pause associées.
2. Les sujétions et la réduction dérogatoire de la durée de travail doivent être suffisamment décrites et justifiées
Le tribunal administratif de Melun souligne que : « la délibération fait état de niveaux de sujétion, soit d’une échelle d’intensité, ses mentions ne permettent pas d’identifier la nature des différentes sujétions associées à l’exercice de missions dont la prise en compte conduit à appliquer les durées de travail retenues, de 1 582 heures à 1 561 heures ou 1 540 heures »2. En effet, le juge administratif a considéré qu’il n’y avait aucun élément décrivant des sujétions retenues pouvant justifier une réduction de la durée du travail. La commune aurait dû justifier le lien entre la réduction de la durée de travail édictée et son obligation de garantir la santé et la sécurité de ses agents, y compris si elle prenait en compte la pénibilité du travail.
3. Le règlement intérieur du personnel prévoyant l’octroi d’une autorisation spéciale d’absence (ASA) de huit jours ouvrables à un agent qui se marie ou se pacse est légal
Le tribunal administratif de Melun considère non seulement que « de telle limitation à cinq jours ne résulte pas des dispositions légales ou réglementaires applicables, qui n’ont pas défini de modalités d’application pour l’octroi d’une ASA »3, mais également que « les ASA, au même titre que les congés proprement dits, constituent un élément du statut des fonctionnaires intéressés et ne peuvent dès lors être réglementées par voie de circulaires »4. La commune pouvait donc introduire dans son règlement intérieur la possibilité d’octroyer une autorisation spéciale d’absence de huit jours ouvrables à un agent qui se marie ou se pacse.
Les collectivités territoriales et leurs établissements publics peuvent reconnaître des sujétions particulières à leurs agents pour justifier une réduction de la durée annuelle du temps de travail. Toutefois, elles doivent être précises et suffisamment décrites pour fonder une dérogation au 1 607 heures de travail annuel.
Dominique Volut, Avocat-Médiateur au barreau de Paris, Docteur en droit public
1. TA Melun, 11 juillet 2024, n° 2309586, Consid. n° 5.
2.Ibidem, Consid. n° 9.
3.Ibidem, Consid. n° 16.
4. Ibidem, Consid n° 16.