Analyse des spécialistes / Sécurité

L’application de l’état d’urgence pour les collectivités

Publié le 26 novembre 2015 à 15h54 - par

La loi prolongeant pour trois mois l’état d’urgence instauré après les attentats de Paris et Saint-Denis, qui ont fait 130 morts et quelque 350 blessés le 13 novembre, est entrée en vigueur samedi 21 novembre 2015.

L'application de l'état d'urgence pour les collectivités
Joël SAGET / Copyright © AFP
Donatien de Bailliencourt avocat collaborateur Granrut Donatien de Bailliencourt

Les premiers attentats commis en début d’année contre la rédaction de Charlie Hebdo et le supermarché casher de la porte de Vincennes avaient conduit le pouvoir exécutif à activer, sur la région parisienne, le second niveau dit « alerte attentat » du plan Vigipirate.

Les récents attentats de Paris du 13 novembre dernier ont, compte tenu de leur caractère dramatique et des graves menaces pesant sur la sécurité publique, amené le président de la République à décréter l’état d’urgence sur l’ensemble du territoire métropolitain et en Corse.

Régi par les dispositions de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955, l’état d’urgence est déclaré, par décret en Conseil des ministres, pour une durée maximale de douze jours qui peut être prolongée par une loi, sur tout ou partie du territoire métropolitain, des DOM, des collectivités d’outre-mer visées par l’article 74 de la Constitution et en Nouvelle-Calédonie, dans deux hypothèses :

– soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public ;

– soit en cas d’évènements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique.

En l’occurrence, ce sont les décrets n° 2015-1475, n° 2015-1476 et n° 2015-1478 du 14 novembre 2015 qui ont déclaré l’état d’urgence sur le territoire métropolitain et en Corse, à compter du 14 novembre 2015 à zéro heure et pour la durée de 12 jours – la durée de l’état d’urgence ayant été étendue à trois mois à compter du 26 novembre 2015 par l’article 1er de la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 –, et qui ont défini les mesures pouvant être prises à ce titre par le ministre de l’Intérieur ou les préfets de département pour assurer la préservation de l’ordre public.

Dans ce régime juridique d’exception, les préfets disposent ainsi d’un pouvoir de police administrative étendue, puisqu’ils peuvent :

– interdire la circulation des personnes ou des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par arrêté (article 5-1° de la loi relative à l’état d’urgence) ;

– instituer, par arrêté, des zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est réglementé (article 5-2° de la loi) ;

– interdire le séjour dans tout ou partie du département à toute personne cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l’action des pouvoirs publics (article 5-3° de la loi) ;

– ordonner la fermeture provisoire des salles de spectacles, débits de boissons et lieux de réunion de toute nature dans les zones déterminées par le décret déclarant l’état d’urgence (article 8 de la loi) ;

– interdire, à titre général ou particulier, les réunions de nature à provoquer ou à entretenir le désordre (même article) ;

– ordonner la remise des armes et des munitions, détenues ou acquises légalement et relevant des catégories A à C, ainsi que celles soumises à enregistrement relevant de la catégorie D (article 9 de la loi) ;

– ainsi qu’ordonner, sous certaines conditions, des perquisitions de jour et de nuit (article 11 de la loi).

Inévitablement, ce pouvoir de police administrative accordé aux préfets pour la durée de l’état d’urgence est susceptible d’entrer en concurrence avec le pouvoir de police administrative générale conféré aux maires par les articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales.

En effet, en application de ces articles, les maires sont notamment chargés de la police municipale dont l’objet est « d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques ».

Dans le cadre de leur pouvoir de police administrative générale, les maires peuvent prendre légalement des mesures préjudiciables aux libertés publiques – telles que la liberté d’aller et venir (par exemple, les arrêtés « couvre-feu » pour les mineurs non accompagnés), la liberté de réunion ou de manifestation, ou encore la liberté d’entreprendre –, pourvu que ces décisions soient nécessaires pour préserver l’ordre public et strictement proportionnées à l’objectif poursuivi (v. l’arrêt de principe Benjamin du Conseil d’État en date du 19 mai 1933, req. n°17413 et 17520).

Certes, l’article L. 2215-1 du même Code donne également aux préfets de département un pouvoir de police administrative générale, mais dans des hypothèses limitativement énumérées, comme par exemple en cas de carence d’un maire à prendre une mesure nécessaire au maintien de l’ordre public (1° de l’article L. 2215-1).

Avec la déclaration d’état d’urgence, les décisions prises par les préfets de département, qui visent à restreindre ou à interdire la circulation des personnes et des véhicules sur des parties du territoire départemental, à limiter l’accès à certains bâtiments publics, à interdire ou limiter les manifestations publiques ou encore à fermer certains lieux publics en raison des graves menaces terroristes, vont s’imposer aux maires des communes concernées.

Ceux-ci ne peuvent ni réduire, ni modifier ces mesures de police administrative qui sont édictées, en vertu de l’état d’urgence, par les préfets sur tout ou partie du territoire de leur commune.

En revanche, les maires peuvent légalement aggraver ces mesures lorsque les circonstances locales l’exigent (v. les arrêts de principe Commune de Néris-Les-Bains et Labonne du Conseil d’État en date des 18 avril 1902 et 8 août 1919, Recueil Lebon 275 et 737).

À cet égard, le fait que l’état d’urgence ait été déclaré sur tout le territoire métropolitain et en Corse fait présumer l’existence d’un risque réel d’atteinte à la sécurité publique par la menace terroriste sur l’ensemble du territoire français.

De fait, ce régime exceptionnel de l’état d’urgence permet aux maires de justifier plus aisément de la légalité de leurs mesures de police administrative visant à assurer la sécurité publique sur tout ou partie du territoire de leur commune, puisque le risque de trouble à l’ordre public est caractérisé sur l’ensemble du territoire métropolitain et en Corse.

Concrètement donc, les maires doivent veiller à ce que les mesures de police administrative prises par les préfets de département soient correctement appliquées et respectées sur le territoire de leur commune.

Et, le cas échéant, ils peuvent édicter leurs propres mesures de police administrative soit pour aggraver une mesure préfectorale qui s’avérerait insuffisante au niveau local au regard du risque d’atteinte à l’ordre public, soit pour pallier l’absence de toute mesure du préfet.

 

Donatien de Bailliencourt, Avocat collaborateur du cabinet Granrut


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