Analyse des spécialistes / Urbanisme

La loi d’orientation des mobilités porte décentralisation de la décision d’augmentation des vitesses maximales autorisées à 90 km/h

Publié le 24 janvier 2020 à 10h46 - par

Contrairement à ce qui peut être relayé par les médias, le retour de la vitesse maximale autorisée à 90 km/h sur les routes secondaires ne sera pas immédiat. Une méthodologie associant tous les acteurs de la prévention routière et la rédaction de chartes seront nécessaires pour sécuriser juridiquement les arrêtés pris par les présidents de département, les maires et les présidents d’établissement public de coopération intercommunale (EPCI).

La loi d'orientation des mobilités porte décentralisation de la décision d'augmentation des vitesses maximales autorisées à 90 km/h

L’article 36 de la loi du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités1 a inséré un nouvel article art. L. 3221-4-1 au Code général des collectivités territoriales (CGCT). Désormais, « le président du conseil départemental ou, lorsqu’il est l’autorité détentrice du pouvoir de police de la circulation, le maire ou le président de l’établissement public de coopération intercommunale peut fixer, pour les sections de routes hors agglomération relevant de sa compétence et ne comportant pas au moins deux voies affectées à un même sens de circulation, une vitesse maximale autorisée supérieure de 10 km/h à celle prévue par le Code de la route ». Contrairement à ce qui peut être relayé par certains médias, il ne s’agit pas d’une remise en cause absolue de la limitation de vitesse à 80 km/h sur les routes secondaires, appliquée depuis le 1er juillet 2018. Le relèvement à 90 km/h de la vitesse maximale est une décision qui revient aux présidents de département, aux maires et aux présidents d’EPCI. Le retour de la limitation de la vitesse maximale à 90 km/h ne sera donc ni uniforme, ni immédiat.

1. Le retour à 90 km/h sera une décision locale

Premièrement, la réduction généralisée de la vitesse maximale autorisée de 90 à 80 km/h sur les routes nationales et départementales appliquée depuis le 1er juillet 2018 a été essentiellement ressentie et vécue comme pénalisante dans les territoires essentiellement ruraux pour lesquels la route est un moyen de déplacement incontournable. Le Sénat a mis en place un groupe de travail sur la sécurité routière en 2018. La réforme reprend des propositions d’un rapport parlementaire rédigé dans ce cadre2.

Deuxièmement, lors de l’examen du texte en première lecture, malgré l’avis défavorable du gouvernement, les sénateurs ont adopté en mai 2019 un amendement introduisant un nouvel article L. 3221-4-1 dans le CGCT. Cette nouvelle disposition permettait au président du conseil départemental de déroger à la vitesse maximale prévue par le Code de la route sur tout ou partie des routes départementales3. En première lecture, l’Assemblée nationale a ajouté que ce pouvoir ne pourrait s’exercer que par arrêté motivé et après avis de la commission départementale de la sécurité routière4.

Troisièmement, l’article L. 3221-4-1 du CGCT est d’application immédiate. Depuis le 1er janvier 2020, non seulement, les présidents de département, mais également les maires et les présidents d’EPCI – lorsqu’une route départementale traverse la ou les communes concernées et qu’ils détiennent le pouvoir de police de circulation sur leur territoire – ont la possibilité de relever la vitesse maximale à 90 km/h sur les routes départementales. Néanmoins, pour être en conformité avec les exigences de cette nouveauté juridique, les autorités exécutives ne pourront prendre cette décision qu’après avis de la commission départementale de la sécurité routière, sur la base d’une étude d’accidentalité portant sur chacune des sections de route concernées5. Cette décision prendra d’un arrêté motivé.

2. Le retour à 90 km/h ne sera ni uniforme, ni immédiat

Premièrement, un arrêté augmentant la vitesse maximale à 90 km/h sera nécessairement entaché d’illégalité si la commission départementale de la sécurité routière, présidée par le préfet6, n’est pas préalablement consultée. Or, le texte ne précise pas de délai de saisine, ni de durée minimum avant que son avis soit rendu. Avant la généralisation de la vitesse maximale à 80 km/h, les difficultés de relations entre les services de l’État et les autorités exécutives locales avaient été soulignées dans le rapport précité « Sécurité routière : mieux cibler pour plus d’efficacité » du 18 avril 2018. Ainsi, il avait été écrit que cette « mesure est d’autant plus perçue comme injuste que les services de l’État ont parfois refusé, dans ces territoires, d’aménager les routes nationales afin de les transformer en routes à deux fois deux voies.7»

Deuxièmement, sur le plan local, une méthodologie sera à définir. La loi ne précise pas ce qui fondera un avis négatif ou positif rendu par la commission départementale de la sécurité routière. La réduction à 80 km/h avait été motivée par la volonté de réduire le nombre d’accidents routiers. Le rapport du 18 avril 2018 préconisait par exemple la création de conférences départementales de la sécurité routière, « co-présidées par les présidents de conseil départemental et les préfets de département, dont le rôle serait d’identifier les routes ou les tronçons de route accidentogènes pour lesquels une réduction de la vitesse maximale autorisée à 80 km/h permettrait de réduire le nombre d’accidents de manière certaine, en fonction des caractéristiques des voies de circulation et de leur environnement.8 »

Troisièmement, l’identification des routes accidentogènes pouvant justifier le maintien de la vitesse maximale autorisée à 80 km/h nécessiterait la rédaction de chartes rédigées en concertation avec les avocats, les juristes, les services de l’État, les membres de l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR), les élus locaux, les services techniques des départements en charge des routes, les associations d’usagers de la route et de riverains et les associations de prévention routière et de lutte contre la violence routière. Ensemble, il y a un travail à effectuer pour déterminer les critères objectifs d’une route accidentogène interdisant le retour d’une vitesse maximale à 90 km/h9. Ces éléments objectifs fonderaient alors la motivation en fait et en droit des commissions départementales de la sécurité routière permettant de prendre des décisions de relèvement de la vitesse maximale à 90 km/h dont la légalité serait difficilement contestable, voire incontestable.

Aujourd’hui, les présidents de département et les maires ont la possibilité de relever la vitesse maximale autorisée à 90 km/h. Doté d’un nouveau pouvoir, il y a fort à parier qu’ils ne savent pas encore comment l’utiliser. Il y a de fortes chances que ce texte ne soit pas appliqué immédiatement car une méthodologie doit être mise en place.

Dominique Volut, Avocat au barreau de Paris, Docteur en droit public


1. Loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités, JORF n° 0299 du 26 décembre 2019, texte n° 1.

2. « Sécurité routière : mieux cibler pour plus d’efficacité », Rapport d’information de M. Michel Raison, Mme Michèle Vullien et M. Jean-Luc Fichet, fait au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable et de la commission des lois, 18 avril 2018.

3. Texte n° 84 (2018-2019) adopté par le Sénat le 2 avril 2019.

4. Texte n° 286 rectifié modifié par l’Assemblée nationale le 18 juin 2019.

5. Art. 36 de la loi n° 2019-1428 précitée.

6. Sur sa composition, voir art. R. 411-11 du Code de la route.

7. Op. Cit Rapport d’information du 18 avril 2018, p. 31.

8. Ibidem p. 32.

9. Par exemple, ceux utilisés dans le département de la Haute-Saône comme le confort dynamique et leur stabilité sur la route des véhicules, largeur de la chaussée de la route, concept de « route qui pardonne » (présence de zones de récupération, absence d’obstacles latéraux), distances de visibilité sur les carrefours et les virages, homogénéité de l’itinéraire et nature du trafic circulant sur l’itinéraire.

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