Marchés publics : vers (encore) moins de concurrence?

Publié le 1 février 2024 à 10h50 - par

Dans un rapport spécial intitulé « Marchés publics dans l’UE : recul de la concurrence pour les contrats de travaux, de biens et de services passés entre 2011 et 2021 »1 publié en décembre 2023, la Cour des comptes de l’Union européenne considère que le niveau de concurrence dans les marchés publics au sein du marché unique a diminué au cours de la dernière décennie.

Marchés publics : vers (encore) moins de concurrence?
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Plus précisément, la Cour estime que plusieurs objectifs de la réforme des directives en 2014 n’ont pas été atteints et même que certains semblent aller à l’encontre de l’objectif général de garantir la concurrence dans les marchés publics.

Concrètement, la Cour des comptes de l’UE relève, notamment, une augmentation globale significative des marchés à soumissionnaire unique, que les procédures de marché public continuent de générer une charge administrative importante, l’absence de hausse sensible de la part des PME participant aux marchés publics, que les aspects liés à l’environnement, aux conditions sociales et à l’innovation sont rarement pris en compte dans les appels d’offres publics ou encore que la transparence n’est pas au niveau au regard des taux de publication relativement faibles.

Au regard de ces critiques et des recommandations formulées par la Cour, la Commission européenne a publié ses réponses dans la foulée de la mise en ligne du rapport.

1. Les réponses de la Commission européenne à la baisse de la concurrence depuis 10 ans

Selon la Commission européenne, la baisse de la concurrence dans les marchés publics peut s’expliquer, notamment, par « la complexité accrue de l’objet de l’achat (par exemple en raison de l’évolution technologique) et les exigences supplémentaires imposées par l’acheteur public aux contractants potentiels (par exemple pour promouvoir des marchés publics plus stratégiques) peuvent entraîner des procédures complexes et longues ainsi qu’un coût plus élevé pour la préparation des offres » et par « l’environnement macroéconomique général » (récessions majeures ayant perturbé les chaînes d’approvisionnement) qui a réduit la capacité de nombreux opérateurs économiques à proposer des offres fiables lors d’appels d’offres publics.
Au regard du rapport, la Commission s’est engagée à entreprendre un travail d’analyse des causes de la faible concurrence dans les marchés publics, à faire le point sur l’état d’avancement des différentes approches et mesures utilisées par les États membres pour promouvoir l’efficacité des marchés publics ou à recenser les mesures, de nature réglementaire ou autre, nécessaires pour promouvoir les marchés publics en tant qu’outil efficace et facile à utiliser pour stimuler la transition écologique et garantir la résilience et la durabilité de notre économie.

Enfin, « la Commission examinera si d’autres mesures spécifiques, le cas échéant de nature législative, pourraient être nécessaires pour combiner les objectifs de simplification des procédures de marchés publics avec des mesures visant à aligner les marchés publics sur les objectifs stratégiques de l’UE ». Aussi, pour les 10 ans de la directive « marchés publics », la Commission européenne semble ouvrir la porte à une réforme des directives.

Au-delà de l’éventuelle évolution du cadre législatif européen à moyen terme, il convient de relever que la réglementation française risque de contribuer à la baisse de la concurrence dans les marchés publics.

2. Vers une baisse accrue de la concurrence dans les prochaines années ?

Bien que légitime au regard, notamment, de la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre, le passage d’une logique d’objectifs à des obligations en matière de développement durable est susceptible de limiter la concurrence dans les procédures de marchés publics publiées par les acheteurs publics français. En effet, au regard de la multiplication des exclusions de candidatures, les acheteurs publics ont désormais plus de possibilité d’exclure un opérateur économique au stade des candidatures pour des motifs liés, notamment, à l’absence d’adoption d’un plan de vigilance, l’absence d’établissement d’un BEGES et, à compter du 1er janvier 2026, en cas de non publication du rapport du durabilité. En outre, et surtout, suite à la loi du 22 août 2021 dite « Climat et résilience », les acheteurs publics devront obligatoirement prévoir des spécifications techniques qui prennent en compte des objectifs de développement durable, des conditions d’exécution qui prennent en compte des considérations relatives à l’environnement et des considérations sociales pour les marchés au-delà des seuils européens et qu’au moins un des critères prenne en compte les caractéristiques environnementales de l’offre. Si ces nouvelles obligations ne rentreront en vigueur qu’à compter du 21 août 2026 (avec une entrée en vigueur anticipée pour certains segments achats suite à la modification de la loi Climat et résilience par la loi industrie verte du 23 octobre 2023), les acheteurs publics les anticipent déjà et imposent aux opérateurs économiques de s’adapter dès maintenant dans la mesure où les produits et services proposés le permettent.

En parallèle du verdissement de la commande publique en France, la multiplication des réglementations au sein de l’UE (déforestation importée, disponibilité des pièces détachées…) est également susceptible d’écarter certains fournisseurs du marché de l’UE. En effet, tous les fournisseurs ne seront pas en capacité d’adapter leur chaine d’approvisionnement, leur outil industriel et/ou leur business modèle à ces nouvelles contraintes attendues par les citoyens. Enfin, certains fournisseurs n’auront pas le courage et/ou le temps de répondre positivement à ces nouvelles obligations.

Aussi, ces nouvelles exigences environnementales vont devenir un des critères de sélection des procédures pour les opérateurs économiques (en plus des autres points critiques tels que la clause de révision des prix, les pénalités de retard, les conditions d’exécution et le calendrier) et sont susceptibles de réduire la concurrence dans les marchés publics.

Conclusions

En réalité, il convient de s’interroger si la baisse de la concurrence est une bonne ou une mauvaise nouvelle pour le verdissement de la commande publique. En théorie, l’intensité concurrentielle permet d’avoir un impact sur la baisse (ou l’absence de hausse) des prix (car elle contraint les fournisseurs à rester compétitif) et/ou doit conduire les fournisseurs à élever leur niveau de qualité. S’agissant de la performance environnementale, la concurrence sur les prix contrarie souvent la poursuite d’un tel objectif.

De même, l’absence de concurrence (du fait d’une situation de monopole ou d’oligopole) tend à encourager les fournisseurs à ne pas améliorer la performance environnementale des produits ou services et, en cas d’existence de réglementations environnementales, à la respecter a minima. Dès lors, il semble possible d’en déduire que ce n’est pas le niveau de la concurrence entre fournisseurs qui améliorera automatiquement le verdissement de la commande publique mais bien, d’une part, l’engagement de certaines entreprises à proposer des produits et services limitant leurs impacts environnementaux et, d’autre part, des acheteurs publics valorisant de telles pratiques dans le cadre de leur démarche d’achats responsables portée par l’instance dirigeante.

Toutefois, au regard du manque d’expertise et/ou des moyens de contrôle, certains fournisseurs peuvent être tentés de faire du « greenwashing » afin de continuer à remporter des contrats sans réellement s’engager. Dès lors, les acheteurs doivent accroitre leur vigilance tant pendant l’analyse que pendant l’exécution vis-à-vis des fournisseurs.

Baptiste Vassor


1. Rapport spécial 28/2023 : Marchés publics dans l’UE – Recul de la concurrence pour les contrats de travaux, de biens et de services passés entre 2011 et 2021