Analyse des spécialistes / Acheteur public

L’assouplissement du régime des exclusions des marchés publics complexifie le travail des acheteurs publics

Publié le 19 avril 2023 à 9h45 - par

L’actualité relative aux exclusions des candidatures dans le cadre des marchés publics n’a jamais été aussi dense.

L'assouplissement du régime des exclusions des marchés publics complexifie le travail des acheteurs publics
© Par Golden Sikorka - stock.adobe.com

Dans le cadre de la présentation du plan interministériel pour l’égalité entre les femmes et les hommes (2023-2027) présenté le 8 mars 2023, la Première ministre a annoncé la création, d’ici 2027, d’un nouveau motif d’exclusion pour les entreprises qui ne respecteraient pas l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

En outre, l’article 15 de la loi n° 2023-171 du 9 mars 2023 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de l’économie, de la santé, du travail, des transports et de l’agriculture assouplit le régime d’exclusion des candidats aux procédures de passation des marchés et des concessions par la mise en place d’un mécanisme d’auto-apurement.

Ces deux actualités mettent en exergue deux mouvements parallèles : la multiplication des motifs d’exclusion à contrôler, d’une part, et l’obligation d’évaluer les mesures correctives mises en place par les entreprises avant d’éventuellement exclure une candidature, d’autre part.

La création à venir d’un nouveau motif d’exclusion des candidatures en lien avec l’index égalité professionnelle

Si l’article L. 2141-4 du Code de la commande publique prévoit déjà un motif d’exclusion pour les entreprises possédant une ou plusieurs sections syndicales d’organisations représentatives mais n’ayant pas mis en œuvre l’obligation de négociation sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes prévue à l’article L. 2242-1 du Code du travail, le Gouvernement a décidé d’aller encore plus loin sur cette thématique.

En effet, le plan interministériel pour l’égalité entre les femmes et les hommes (2023-2027) prévoit, notamment, « de favoriser l’accès aux marchés publics aux entreprises respectant les obligations en matière de publication de l’Index égalité professionnelle, ou qui ont obtenu une note suffisante à cet Index » d’ici fin 2027. Plus précisément, cette future disposition vise à exclure la candidature des entreprises soumises à l’index qui ne l’ont pas calculé et publié ou ayant une note strictement inférieure à 75/100.

Pour mémoire, la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a créé l’Index égalité professionnelle (ou Index « Pénicaud ») et impose aux entreprises d’au moins 50 salariés (depuis le 1er mars 2020) de calculer puis de publier la note globale et la note obtenue à chacun des indicateurs sur le site Internet de l’entreprise et sur la plateforme Index Egapro au plus tard le 1er mars de chaque année.

Si l’objectif de cette future disposition n’est pas de sanctionner les entreprises mais de les inciter à faire évoluer leurs pratiques pour atteindre l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, elle aura nécessairement pour conséquence d’exclure certaines entreprises des procédures de marchés publics.

D’après Pierre-Henri Morand, Professeur de sciences économiques à Avignon Université, sur Twitter, en croisant les données essentielles de la commande publique (DCEP) et les données disponibles sur la plateforme Index Egapro, sur 28 892 entreprises ayant publié leur note, 1 780 ont une note inférieure à 75/100 dont 493 ont remporté au moins un marché public. Ces 493 entreprises ont remporté 7 469 marchés (sur les 487 145 marchés publics recensés). Ces marchés sont principalement des marchés de fournitures dont les titulaires sont des PME et des ETI. Enfin, il convient de noter que 20 entreprises (ayant une note inférieure à 75/100) ont ou sont titulaires d’au moins 100 marchés publics.

Cette première analyse est intéressante mais partielle car elle ne peut pas prendre pas en compte les entreprises n’ayant pas publié leur Index sur la plateforme.

Le lendemain de la publication du plan interministériel pour l’égalité entre les femmes et les hommes (2023-2027), la loi du 9 mars 2023 vient modifier les dispositions relatives aux exclusions de candidatures dans le Code de la commande publique.

L’assouplissement du régime d’exclusion de plein droit des candidats

Suite à l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne du 11 juin 20201, le Conseil d’État2 s’est aligné sur l’interprétation de cette dernière en considérant que le Code de la commande publique n’était pas conforme à certaines dispositions de la directive 2014/23/UE.

En effet, selon le Code de la commande, un candidat à une concession, condamné par un jugement définitif pour l’une des infractions au Code pénal ou au Code général des impôts énumérées à l’article L. 3123-1 était exclu de plein droit sans avoir la possibilité d’apporter « la preuve qu’il a pris des mesures correctrices susceptibles de démontrer le rétablissement de sa fiabilité ».

Autrement dit, le Code de la commande publique doit permettre aux candidats de prouver qu’ils ont adopté des mesures d’auto-apurement corrigeant les manquements pour lesquels ils ont été définitivement condamnés. Ces mesures peuvent porter, notamment, par le versement d’une indemnité en réparation du préjudice causé, d’une collaboration active avec les autorités chargées de l’enquête, de l’adoption de mesures concrètes propres à régulariser sa situation et à prévenir une nouvelle infraction pénale.

La rédaction de l’article L. 3123-1 étant identique à l’article L. 2141-1, la jurisprudence est transposable aux marchés publics.

La loi du 9 mars 2023 vient mettre en conformité le Code de la commande publique en créant l’article L. 2141-6-1 du CCP qui permet à une société concernée par l’un des motifs d’exclusion de plein droit prévu aux articles L. 2141-1, L. 2141-4 et L. 2141-5 de « fournir des preuves qu’elle a pris des mesures de nature à démontrer sa fiabilité ».

Sur la base des éléments transmis, l’acheteur devra évaluer les mesures d’auto-apurement prises « en tenant compte de la gravité et des circonstances particulières de l’infraction pénale ou de la faute » afin de déterminer si « ces preuves sont suffisantes ». Si tel est le cas selon l’analyse de l’acheteur, « la personne concernée n’est pas exclue de la procédure de passation de marché ».

Enfin, il convient de relever que l’article L. 2141-6-1 dispose que les personnes condamnées à une peine complémentaire d’exclusion des marchés publics au titre des articles 131-34 ou 131-39 du Code pénal ne peuvent se prévaloir de ce mécanisme d’auto-apurement durant la période fixée par la décision de justice définitive.

Conclusion

Régulièrement, les acheteurs publics doivent vérifier de nouveaux motifs d’exclusion aux marchés publics. Cette étape obligatoire (mais sans aucune valeur ajoutée apportée par l’acheteur) va se complexifier avec l’assouplissement du régime d’exclusion de plein droit des candidatures. En effet, en plus de devoir contrôler les motifs d’exclusion, l’acheteur public devra apprécier les mesures d’auto-apurement mises en place par l’entreprise. Or, cette nouvelle charge pour les acheteurs publics devrait concentrer toute leur attention en simplifiant et automatisant le contrôle des motifs d’exclusion par la mise en place d’une plateforme publique connectée aux différentes API existantes ou à créer (URSSAF, DGFIP, Infogreffe, INPI, Egapro, BODACC, RBE…) dans le cadre d’un nouveau Plan Transformation Numérique de la Commande Publique. Ainsi, nous pourrions peut-être en finir avec les fameuses « attestations sur l’honneur » !

Baptiste Vassor, juriste, expert achat public et administrateur de l’APASP


1. CJCE, 11 juin 2020, n° C-472/19, société Vert Marine SAS

2. Conseil d’État, 12 octobre 2020, n° 419146, Société Vert Marine SAS

Auteur :

Baptiste Vassor

Baptiste Vassor

Juriste, expert achat public et administrateur de l'APASP


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