Si l’appel à la sous-traitance peut s’avérer indispensable pour faire face à une surcharge ponctuelle d’activité, ou pour des prestations très spécialisées nécessitant des compétences particulières, l’existence de trois, quatre, parfois cinq niveaux de sous-traitance entraîne une dilution des responsabilités, voire des pratiques illégales en bout de chaîne (travail dissimulé).
Pas de motif d’intérêt général suffisant pour restreindre d’une façon générale la sous-traitance
Le principe du libre recours à la sous-traitance est consacré tant par le droit européen que par le Code de la commande publique. Les directives « marchés publics » du 26 février 2014 permettent à l’opérateur économique de recourir, pour un marché public déterminé, aux capacités d’autres entités, quelle que soit la nature juridique des liens qui l’unissent à ces entités (article 63 de la directive 2014/24/UE).
La Cour de justice de l’Union européenne a récemment jugé « qu’il est de l’intérêt de l’Union que l’ouverture d’un appel d’offres à la concurrence soit le plus large possible » et que « le recours à la sous-traitance, qui est susceptible de favoriser l’accès des petites et moyennes entreprises aux marchés publics, contribue à la poursuite de cet objectif » (CJUE, 26 septembre 2019, Vitali SpA c/ Autostrade per l’Italia SpA, C63/18). Ainsi, une législation nationale ayant pour objet de limiter ou d’interdire la sous-traitance au-delà d’un certain rang, outre qu’elle méconnaitrait les directives « marchés publics », serait susceptible d’être considérée comme une restriction à la liberté d’établissement et à la libre prestation de services. C’est pourquoi le Code de la commande publique consacre le droit de recourir à la sous-traitance et précise que ses dispositions relatives à la sous-traitance sont d’ordre public (article L. 2193-3). Une législation restreignant la liberté de sous-traiter pourrait, par ailleurs, être regardée comme portant une atteinte disproportionnée aux principes à valeur constitutionnelle de liberté d’entreprendre et de liberté du commerce et de l’industrie.
En effet, le Conseil constitutionnel a jugé que s’il était loisible au législateur « d’apporter à la liberté d’entreprendre et à la liberté contractuelle qui découlent de l’article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général », c’est à la condition « qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi » (décision n° 2013-672 DC du 13 juin 2013). Ainsi, si le législateur a pu, dans un objectif de sécurité publique, interdire le recours à la sous-traitance au-delà du deuxième rang pour l’exécution de contrats ou marchés relatifs à la surveillance humaine ou au gardiennage de biens meubles ou immeubles (art. 19 de la loi n° 2021-646 du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés), il n’est pas certain qu’un motif d’intérêt général suffisant soit reconnu pour restreindre d’une façon générale la sous-traitance dans le secteur du bâtiment et des travaux publics compte tenu de l’impact de cette mesure sur l’accès des PME à la commande publique.
Des dispositifs existent pour limiter la sous-traitance totale
En outre, le Code de la commande publique contient déjà plusieurs dispositifs susceptibles d’atteindre l’objectif recherché en permettant aux acheteurs de contrôler la chaîne de sous-traitance. D’une part, l’acheteur dispose de la faculté, lorsqu’il estime que le recours à la sous-traitance est susceptible de nuire à la bonne exécution de certains contrats, d’exiger que les tâches jugées essentielles soient effectuées directement par le titulaire lui-même. D’autre part, tout opérateur, quel que soit son rang dans la chaîne de sous-traitance, qui envisage de recourir à un sous-traitant est tenu de le déclarer au maître d’ouvrage et d’obtenir son acceptation et l’agrément de ses conditions de paiement. Ces informations permettent notamment à l’acheteur de s’assurer que, sur l’ensemble de la chaîne de sous-traitance, aucune entreprise ne se trouve dans une situation d’interdiction de soumissionner en raison de la méconnaissance de ses obligations fiscales et sociales ou parce qu’elle a fait l’objet de sanctions pour travail dissimulé et que la rémunération du sous-traitant n’apparaît pas anormalement basse au regard des prestations sous-traitées. À cet égard, l’acheteur a également la possibilité de demander la communication du contrat de sous-traitance (art. L. 2193-7).
Par conséquent, dans un souci de sécurité juridique, le Gouvernement estime plus opportun de privilégier les outils dont disposent les acheteurs en matière d’information et de contrôle des prestataires en chaîne et d’en promouvoir un recours plus efficace.
Texte de référence : Question n° 9534 de M. Yannick Monnet (Gauche démocrate et républicaine – NUPES – Allier) du 4 juillet 2023, Réponse publiée au JOAN le 12 septembre 2023, p. 8 142