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Transfert de propriété et droit de préemption urbain depuis la loi Alur : une nouvelle donne

Publié le 28 mars 2014 à 9h53 - par

En modifiant l’article L. 213-14 du Code de l’urbanisme, la loi Alur bouleverse le principe, solidement établi, selon lequel le transfert de propriété s’opère à la rencontre des volontés sur la chose et sur le prix.

Transfert de propriété et droit de préemption urbain depuis la loi Alur: une nouvelle donne

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La loi du 24 mars 2014* veut rénover l’urbanisme ! Elle rénove même un des plus anciens principes du Code civil.

Lucien Deleye, Avocat au Barreau de Lille, Bignon Lebray AvocatsLucien DELEYE

1. Le transfert de propriété en matière de droit de préemption avant la loi « Alur » :

En vertu de l’article 1583 du Code civil, inchangé depuis le 16 mars 1804, et applicable en droit de préemption urbain, le transfert de propriété est opéré à la date de la notification au propriétaire vendeur (ou à son mandataire) de la décision de préemption aux conditions et aux prix mentionnés dans la déclaration d’intention d’aliéner. (CA Paris, 23 novembre 2000, Ville de Paris, Juris-data n° 2000-139440.)

De même, selon l’article L. 213-7 du Code de l’urbanisme : « En cas de fixation judiciaire du prix, et pendant un délai de deux mois après que la décision juridictionnelle est devenue définitive, les parties peuvent accepter le prix fixé par la juridiction ou renoncer à la mutation. Le silence des parties dans ce délai vaut acceptation du prix fixé par le juge et transfert de propriété, à l’issue de ce délai, au profit du titulaire du droit de préemption. »

Le principe était donc simple. Dès la rencontre des volontés sur la chose et sur le prix, le titulaire du droit de préemption devenait propriétaire du bien, et en assumait dès lors les risques inhérents au statut de propriétaire, et ce quand bien même le prix n’avait pas été versé ou consigné.

En contrepartie, le propriétaire préempté était protégé. En cas de non paiement du prix dans le délai de 6 mois suivant, soit la décision d’acquérir le bien au prix indiqué par le vendeur ou accepté par lui, soit la décision définitive de la juridiction compétente en matière d’expropriation, soit la date de l’acte ou du jugement d’adjudication : le propriétaire préempté pouvait solliciter la rétrocession de plein droit de son bien. En outre, il en conservait la jouissance jusqu’au paiement intégral du prix. (art. L. 213-15 du Code de l’urbanisme)

2. Le nouvel l’article L. 213-14 du Code de l’urbanisme ne manque pas d’« Alur »

Désormais, l’article L. 213-14 dispose : « En cas d’acquisition d’un bien par voie de préemption ou dans les conditions définies à l’article L. 211-5, le transfert de propriété intervient à la plus tardive des dates auxquelles seront intervenus le paiement et l’acte authentique.

D’aucuns auront surtout remarqué que le nouvel article L. 213-14 du Code de l’urbanisme a réduit le délai de paiement, ou de consignation (en cas d’obstacle au paiement) de 6 à 4 mois.

Mais la révolution réside bel et bien dans la modification de la date du transfert de propriété, en contrariété législative avec l’article L. 213-7, inchangé, ce qui augure de véritables casse-têtes pour les notaires.

En effet, selon l’article L. 213-7, la propriété est transférée au jour de l’acceptation expresse ou tacite du prix fixé par le juge de l’expropriation, alors que l’article L. 213-14 fixe ce transfert à la plus tardive des dates auxquelles seront intervenus le paiement et l’acte authentique.

Pourtant, selon l’article R. 213-12, en cas d’accord sur le prix « l’acte authentique est dressé dans un délai de trois mois à compter de cet accord pour constater le transfert de propriété ». Comment le notaire pourra-t-il constater le transfert de propriété dès lors que le prix n’aura pas encore été payé à la date de l’acte authentique de réitération de la vente ?

Enfin, le titulaire du droit de préemption n’aura, certes, plus à supporter les risques inhérents à la qualité de propriétaire dès l’accord sur le prix du vendeur. Cependant, le passage du délai de paiement, ou de consignation en cas d’obstacle à paiement, de 4 à 6 mois, obligera l’administration à hâter les procédures de paiement ; la sanction n’étant plus la rétrocession automatique, (en l’absence de transfert de propriété), mais plus radicalement, la faculté pour le vendeur de céder son bien librement, sans aucune formalité.

Qu’on se le dise, ce qu’une loi édicte, une autre peut le défaire. Désormais, tout bon étudiant en droit apprendra par cœur que la vente est parfaite dès qu’il y a consentement réciproque du vendeur et de l’acheteur sur la chose et sur le prix… sauf en droit de préemption urbain.

 

Lucien Deleye, Avocat au Barreau de Lille, Bignon Lebray Avocats

 

Texte de référence : Loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové


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