Analyse des spécialistes / Rémunération

La mise en œuvre d’un intéressement collectif comme rémunération dans la fonction publique est-elle vraiment possible ?

Publié le 3 avril 2018 à 11h55 - par

« On va essayer de travailler à une nouvelle rémunération des agents publics fondée sur le mérite ». Telle est l’une des déclarations faites par Gérald Darmanin, ministre de l’Action et des Comptes Publics sur les antennes de BFMTV – RMC le 19 février dernier. Si elle est dans l’air du temps, la question d’une rémunération « au mérite » des agents publics n’est pas nouvelle. Par le passé déjà, plusieurs gouvernements ont relancé cette idée d’introduire davantage de « mérite » dans la rémunération des fonctionnaires.

La mise en œuvre d'un intéressement collectif comme rémunération dans fonction publique est-elle vraiment possible ?
Donatien de Bailliencourt avocat collaborateur Granrut
Donatien de Bailliencourt

En 2003, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, avait instauré une « prime au mérite collectif » dans les services de police. Puis, en 2008, il avait fait mettre en place, par le gouvernement Fillon, une prime de fonction et de résultat, intitulée « PFR », visant à récompenser la performance individuelle des fonctionnaires de l’État, et plus particulièrement celle des cadres supérieurs de l’administration étatique.

Certaines collectivités locales se sont également engagées dans cette voie, par la création d’une prime « d’assiduité » ou de « présentéisme »1, ou par la définition d’une véritable grille d’évaluation permettant de moduler à la hausse ou à la baisse le montant de la rémunération de leurs agents publics en fonction de leurs mérites individuels2.

La rémunération des fonctionnaires et agents publics peut légalement être calculée en fonction des mérites individuels et/ou collectifs

L’article 20 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires définit les éléments constitutifs de la rémunération des agents publics comme comprenant le traitement, l’indemnité de résidence, le supplément familial de traitement, ainsi que les indemnités instituées par un texte législatif ou réglementaire.

Ce même article précise que les indemnités peuvent tenir compte des fonctions et des résultats professionnels des agents, ainsi que des résultats collectifs des services.

Le principe même d’une rémunération constituée en partie d’une indemnité reposant sur les mérites individuels des agents publics et/ou sur les mérites collectifs des services dans lesquels ils travaillent, est donc inscrit dans la loi3.

La rémunération en fonction des mérites individuels des agents publics

S’agissant de l’indemnité déterminée en fonction des mérites individuels des fonctionnaires, le cadre juridique applicable est défini pour la fonction publique de l’État par le décret n° 2014-513 du 20 mai 2014 portant création d’un régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des suggestions, de l’expertise et de l’engagement professionnel dans la fonction publique de l’État, et pour la fonction publique territoriale, par l’article 88 de la loi n° 84-53 du 20 janvier 1984.

Ces dispositifs visent à allouer aux fonctionnaires un complément indemnitaire calculé en fonction de l’engagement professionnel et de la manière de servir, laquelle est appréciée en fonction du degré d’atteinte des objectifs assignés aux agents lors de l’entretien professionnel de l’année précédente4.

À cet égard, l’autorité administrative peut prendre en compte les attitudes sanctionnées disciplinairement pour moduler le montant d’une prime liée à la valeur et à l’action des agents, sans toutefois se dispenser, à cette occasion, d’un examen individuel des mérites de chacun5.

Pour les fonctionnaires de l’État, des arrêtés interministériels déterminent le pourcentage de ce complément indemnitaire, qui doit être compris entre 0 et 100 % d’un montant maximal par groupe de fonctions lui-même fixé par cet arrêté.

Pour les fonctionnaires territoriaux, l’organe délibérant de la collectivité territoriale fixe les régimes indemnitaires dans la limite de ceux dont bénéficient les différents services de l’État, détermine les plafonds applicables à l’indemnité en rapport avec les conditions d’exercice des fonctions et de l’engagement professionnel des agents et en fixe les critères, sans que le montant puisse dépasser le plafond global des primes octroyées aux agents de l’État6.

En d’autres termes, une condition d’équivalence s’applique au régime indemnitaire des fonctionnaires territoriaux par référence à celui dont bénéficient les fonctionnaires de l’État.

Cette condition d’équivalence n’implique pas que la collectivité territoriale soit tenue de prévoir, pour ses fonctionnaires, un régime indemnitaire identique à celui des fonctionnaires de l’État. De sorte qu’il lui est possible d’en subordonner le bénéfice à des conditions plus restrictives7. Mais, si elle entend en faire bénéficier ses agents, elle ne peut le faire au-delà de ce qui est règlementairement prévu pour les fonctionnaires de l’État.

L’approche « collective » du système d’intéressement « au mérite » des fonctionnaires

Outre le mécanisme de la prime fixée selon les mérites individuels, les statuts des fonctionnaires prévoient également une seconde voie incitative par un dispositif d’intéressement collectif8.

La prime d’intéressement à la performance collective des services est définie, pour les administrations de l’État, par le décret n° 2011-1038 du 29 août 2011, et pour les collectivités territoriales, par le décret n° 2012-624 du 3 mai 2012.

Cette prime est susceptible de profiter aux fonctionnaires et agents publics non titulaires d’un même service ou groupe de services.

Pour ce faire, l’autorité compétente doit déterminer les services auxquels s’applique ce dispositif et définir les objectifs, les indicateurs et les résultats à atteindre sur une période de douze mois consécutifs, ainsi que les modalités de certification des résultats obtenus sur cette période et les modalités d’attribution de la prime.

Fondée sur la performance collective, la prime d’intéressement est attribuée à l’ensemble des agents dans les services ayant atteints, sur cette période de douze mois, les résultats ainsi fixés par l’autorité administrative compétente.

Toutefois, il reste possible d’exclure du bénéfice de cette prime l’agent non méritant en cas d’insuffisance caractérisée dans sa manière de servir9.

S’agissant plus spécifiquement de la fonction publique de l’État, la prime d’intéressement à la performance collective des services peut être instituée dans les administrations de l’État et ses établissements publics, ainsi que dans les juridictions.

L’instauration d’un tel dispositif n’est pas sans soulever quelques interrogations, en particulier sur la définition des objectifs, indicateurs et résultats à atteindre, qui peuvent facilement être empreints d’une certaine subjectivité.

Sur ce point, la circulaire du 29 août 2011 relative à la mise en place d’une prime d’intéressement à la performance collective des services dans les administrations de l’État et ses établissements publics donne un éclairage quant aux indicateurs pouvant être retenus par l’autorité administrative.

La performance collective d’un service peut ainsi être appréciée par référence :

  • à la qualité du service rendu, comme le taux de satisfaction de l’usager, le délai de traitement des dossiers ou le niveau d’information de l’administré ;
  • à la maîtrise des coûts et à l’efficience des services, tel que le coût par décision ou titre émis / dossiers traités, la dépense moyenne de fonctionnement par agent ;
  • à la gestion des ressources humaines, comme l’amélioration des conditions de travail, le taux de formation des agents, la cohésion des équipes ;
  • au développement durable, c’est-à-dire la consommation énergétique, la maîtrise des consommables de bureautique, l’évolution du bilan carbone des transports.

Certains de ces indicateurs, comme ceux se rattachant à une diminution de la consommation énergétique ou des consommables peuvent donner lieu à des objectifs par services et être aisément appréciés. D’autres, à commencer par le taux de satisfaction de l’usager ou le délai de traitement des dossiers, sont plus délicats à mettre en œuvre dans la mesure où l’atteinte de l’objectif dépendra beaucoup des moyens humains et matériels mis à la disposition des services pour assurer leur mission.

Par ailleurs, tous ces indicateurs ne sont pas nécessairement pertinents et adaptés aux différents services de l’État ou des collectivités territoriales. Si le taux de satisfaction peut avoir un sens pour les services dont les activités les conduisent à avoir des contacts quotidiens avec les usagers, il en va différemment des directions assurant des fonctions stratégiques ou de conception.

En définitive, la réflexion pour qu’un système d’intéressement au mérite collectif puisse être mise en œuvre n’est pas encore totalement aboutie.

De nombreuses questions demeurent sur les indicateurs les plus appropriés pour mesurer objectivement la performance collective et sur la pertinence même de ce dispositif10.

 

Donatien de Bailliencourt, Avocat Counsel, cabinet Granrut

 


Notes :

1. v. par ex. les villes des Ulis, de Bondy, de Florensac ou encore d’Argenteuil citées dans l’article de H. Gazzane « Ces communes qui paient leurs fonctionnaires pour venir travailler », lefigaro.fr, 14 octobre 2015.

2. Comme la ville de Suresnes : V. Masson, « Suresnes : les agents municipaux payés au mérite », lefigaro.fr, 10 novembre 2015.

3. La disposition de l’article 20 prévoyant la prise en compte, au titre des indemnités versées aux agents publics, des résultats professionnels et de la performance collective des services, a été introduite par la loi n° 2010-751 du 5 juillet 2010.

4. v. l’article 55 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 pour la fonction publique de l’État et l’article 76 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 pour la fonction publique territoriale.

5. v. CAA Paris, 27 juin 2017, M. D. C. c/ Commune de Bry-sur-Marne, req. n° 16PA02015.

6. v. article 88 de la loi n° 84-53 précité.

7. v. CE, 7 juin 2010, M. L. A. c/ Commune de Nevers, req. n° 312506 ; CE, 24 avril 2013, OPH Habitat Drouais, req. n° 348575.

8. v. article 20 de la loi n° 83-634 précité : « les indemnités peuvent tenir compte des fonctions et des résultats professionnels des agents ainsi que des résultats collectifs des services » ; v. article 88 de la loi n° 84-53 précité : « après avis du comité technique, l’organe délibérant peut décider d’instituer une prime d’intéressement en tenant compte des résultats collectifs des services, selon les modalités dans les limites définies par décret en Conseil d’État ».

9. v. article 4 du décret n° 2011-1038 du 29 août 2011 et article 6 du décret n° 2012-624 du 3 mai 2012.

10. v. S.-F. Servière, « L’intéressement collectif dans la fonction publique : pourquoi ça ne marche pas », 22 septembre 2016, ifrap.org.


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