Analyse des spécialistes / Urbanisme

Les CINASPIC : une catégorie de destination aux contours imprécis

Publié le 26 septembre 2022 à 9h45 - par

Les « constructions et installations nécessaires aux services publics ou d’intérêt collectif » ou « CINASPIC » constituent l’une des catégories de destination des constructions, dont les contours insuffisamment définis donnent à cette notion un caractère évolutif.

Les CINASPIC : une catégorie de destination aux contours imprécis

En droit de l’urbanisme, la question de la destination des constructions a deux enjeux essentiels :

  • d’une part, déterminer l’autorisation d’urbanisme qu’il est nécessaire de solliciter ou non : des travaux modifiant les structures porteuses ou de la façade de la construction existante et s’accompagnant d’un changement de destination entre les destinations et sous-destinations nécessiteront un permis de construire1, alors qu’un changement de destination du bâtiment existant entre les différentes destinations, sans travaux ou avec des travaux ne touchant pas aux structures porteuses ou aux éléments de façade, fera l’objet d’une déclaration préalable2 ;
  • d’autre part, identifier les règles du document d’urbanisme sur le fondement desquelles l’autorisation d’urbanisme sera instruite : selon la destination retenue, les règles d’urbanisme applicables sont plus ou moins strictes.

Il est donc déterminant, pour le service chargé de l’instruction d’une demande d’autorisation d’urbanisme, de s’assurer que l’opération de construction projetée relève bien de la catégorie de destination déclarée par le pétitionnaire.

Les évolutions législatives autour des catégories de destination

Avant la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000, dite « SRU », chaque commune pouvait, dans son plan d’occupation des sols, déterminer ses propres destinations des constructions et en apporter une définition, puisqu’il n’existait aucune nomenclature obligatoire.

La loi « SRU » et son décret d’application du 27 mars 2001 ont défini, de manière limitative3, neuf catégories de destinations codifiées à l’article R. 123-9 du Code de l’urbanisme, au nombre desquelles figurent les « constructions et installations nécessaires aux services publics ou d’intérêt collectif » ou « CINASPIC »4.

La loi n° 2014-366 du 24 mars 2014, dite « Alur », et son décret d’application n° 2015-1783 ont redéfini les catégories de destination en limitant leur nombre à cinq, dont les « équipements d’intérêt collectif et services publics » ou « EISCP »5, et en subdivisant ces catégories en sous-destinations, codifiées aux articles R. 151-27 et R. 151-28 du Code de l’urbanisme.

Ces nouvelles catégories de destination et de sous-destination s’appliquent aux PLU qui ont fait l’objet d’une procédure d’élaboration ou de révision prescrites après le 1er janvier 2016, alors que les anciennes catégories de destination demeurent applicables, sauf cas particulier, aux PLU dont l’élaboration, la révision, la modification ou la mise en compatibilité a été engagée avant le 1er janvier 2016.

Coexistent ainsi sur le territoire national :

  • des PLU non « alurisés » qui règlementent les destinations des constructions en fonction des neuf anciennes catégories, parce qu’ils existaient sous cette forme avant le 1er janvier 2016 ;
  • et des PLU « alurisés » réglementant la destination des constructions en considération des cinq nouvelles destinations et des vingt-et-une sous-destinations, parce qu’ils ont été élaborés ou révisés après le 1er janvier 2016.

La notion de « CINASPIC » pour les PLU entrés en vigueur avant le 1er janvier 2016

En l’absence de toute définition donnée par l’article R. 123-9 du Code de l’urbanisme, la notion de « CINASPIC » a été définie, avec plus ou moins de précision, par les documents d’urbanisme locaux.

Il appartenait aux rédacteurs de ces documents d’urbanisme de lister, sous le contrôle du juge administratif, les constructions et installations entrant dans cette catégorie en fonction de leurs choix en matière d’urbanisme et d’aménagement6.

S’ils ont bénéficié d’une certaine liberté pour définir la notion de « CINASPIC », leur marge de manœuvre n’a toutefois pas été illimitée dès lors que la catégorie « CINASPIC » ne peut pas être combinée avec une autre catégorie de destination pour en créer une nouvelle, et qu’aucun panachage des règles d’urbanisme entre plusieurs catégories de destination n’est admis7.

Selon le degré de précision de la notion de « CINASPIC » apporté par les PLU « non alurisés », le juge administratif est intervenu comme « organe de régulation », non pour poser des critères de définition de cette catégorie de destination, mais pour examiner, au cas par cas, en fonction des dispositions du PLU applicable, les opérations susceptibles de relever de la destination « CINASPIC » ou d’une autre catégorie de destination.

À titre d’exemple, pour les résidences destinées aux personnes âgées dépendantes ou non dépendantes, il a pu retenir la destination de « CINASPIC » plutôt que celle d’habitation, alors même qu’elles ne comportaient pas de structure médicale ou de soins et que leur construction et gestion étaient opérées par des personnes privées8, pour peu que ces résidences soient financées par un prêt aidé par l’État9.

Néanmoins, face à une opération mixte portant sur la construction d’un Ehpad et d’une « résidence service seniors » et pour laquelle trois qualifications possibles pouvaient être retenues : « habitation », « résidence hôtelière » ou « CINASPIC », le juge administratif a considéré que la partie Ehpad du projet relevait bien de la destination « CINASPIC », tandis que la partie résidence-seniors assurant la prise en charge collective des besoins des occupants tombait dans la destination « habitation » dans la mesure où, en application « des articles L. 631-13, L. 631-15, L. 631-16 et D. 631-27 du Code de la construction et de l’habitation, une résidence services permet à ses occupants de bénéficier de services spécifiques non individualisables, précisés dans le contrat de location notamment lorsque le gérant de ces services est également le bailleur, et qui sont l’accueil personnalisé et permanent des résidents et de leurs visiteurs, la mise à disposition d’un personnel spécifique attaché à la résidence, le cas échéant complétée par des moyens techniques, permettant d’assurer une veille continue quant à la sécurité des personnes et à la surveillance des biens, et le libre accès aux espaces de convivialité et aux jardins aménagés. Les occupants peuvent en outre souscrire des services spécifiques individualisables auprès de prestataires »10.

Les contours de la qualification de « CINASPIC » ne sont donc pas clairement établis et dépendent très largement des définitions qui en sont parfois faites par les PLU « non alurisés » et, dans une certaine mesure, des spécificités du projet et des circonstances locales.

La notion des « équipements d’intérêt collectif et services publics » s’est substituée à celle des « CINASPIC » pour les PLU entrés en vigueur après le 1er janvier 2020

Les PLU dont l’élaboration ou la révision a été prescrite postérieurement au 1er janvier 2016 doivent s’appuyer sur les cinq destinations énoncées à l’article R. 151-27 du Code de l’urbanisme.

Parmi ces cinq destinations, figure la catégorie des « équipements d’intérêt collectif et services publics » – ou « EISCP » – qui remplace celle des « CINASPIC ».

Cette catégorie « EISCP » est mieux définie par l’effet combiné :

  • des dispositions de l’article R. 151-28 du Code de l’urbanisme qui détaille ses sous-destinations : « locaux et bureaux accueillant du public des administrations publiques et assimilés » ; « locaux techniques et industriels des administrations publiques et assimilés » ; « établissements d’enseignement, de santé et d’action sociale » ; « salles d’art et de spectacles » ; « équipements sportifs » ; « autres équipements recevant du public » ;
  • et de l’arrêté du 10 novembre 2016 qui précise le contenu de ces sous-destinations11.

Il reste que les nouvelles destinations et sous-destinations résultant des articles R. 151-27 et 151-28 précitées sont susceptibles d’avoir un impact notable sur un certain nombre d’immeubles qui relevaient auparavant de la catégorie des « CINASPIC » et sans que les PLU « non alurisés » applicables puissent s’y opposer12.

Tel est notamment le cas des résidences-services qui sont désormais classées dans la destination « habitation » et dans la sous-destination « hébergement ».

L’arrêté du 10 novembre 2016 précise à cet égard que la sous-destination « hébergement » recouvre les constructions destinées à l’hébergement dans des résidences ou foyers avec service, telles que les maisons de retraite, les résidences universitaires, les foyers de travailleurs et les résidences autonomie.

Ce qui est désormais pris en compte, c’est la fonction première de ces résidences-services, à savoir l’habitation.

Donatien de Bailliencourt, Avocat Associé, HMS Avocats


1. Article R. 421-14 du Code de l’urbanisme.

2. Article R. 421-17 du Code de l’urbanisme.

3. CE, 30 décembre 2014, Groupe Patrice Pichet, req. n° 360850.

4. Article R. 123-9 du Code de l’urbanisme dans sa rédaction en vigueur jusqu’au 31 décembre 2015 : « habitation », « hébergement hôtelier », « bureaux », « commerce », « artisanat », « industrie », « exploitation agricole ou forestière », « entrepôt », « CINASPIC ».

5. Les quatre autres destinations sont : « exploitation agricole et forestière », « habitation », « commerce et activités de service », « autres activités des secteurs secondaire ou tertiaire ».

6. Rép. Min. n° 84243 : JOAN Q 7 septembre 2010, p. 9 772.

7. V. par ex. : CAA de Versailles, 23 janvier 2020, SAS Saint Rémy c. Ville de Saint-Denis, req. n° 17VE02705 ; CAA de Versailles, 31 août 2020, Commune d’Asnières-sur-Seine, req. n° 18VE04177.

8. CE, 13 février 2013, Commune de La Baule-Escoublac, req. n° 346554.

9. CAA de Paris, 8 février 2018, req. n° 16PA03503 ; confirmé par CE, 15 février 2019, req. n° 419572.

10. CAA de Nantes, 3 juillet 2020, req. n° 19NT03125 ; confirmé par CE, 13 décembre 2021, req. n° 443815.

11. Arrêté du 10 novembre 2016 définissant les destinations et sous-destinations de constructions pouvant être réglementées par le règlement national d’urbanisme et les règlements des plans locaux d’urbanisme ou les documents en tenant lieu, JORF n° 0274 du 25 novembre 2016.

12. Plusieurs décisions des juridictions administratives ont fait application des catégories des destinations et sous-destinations résultant des articles R. 151-27 et 151-28 à l’égard de PLU « non alurisés » qui étaient en vigueur avant le 1er janvier 2016 (CE, 17 décembre 2020, req. n° 432561 ; CAA de Paris, 20 mai 2021, req. n° 19PA00986 ; CE, 13 décembre 2021, req. n° 443815, confirmant CAA de Nantes, 3 juillet 2020, req. n° 19NT03125).

Auteur :

Donatien de Bailliencourt

Donatien de Bailliencourt

Avocat Associé, HMS Avocats


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