Analyse des spécialistes / Urbanisme

Quels sont les pouvoirs de police spéciale du maire confronté à des travaux irréguliers ?

Publié le 9 février 2023 à 14h00 - par

Dans l’arrêt Commune de Villeneuve-lès-Maguelone du 22 décembre 2022 (req. n° 463331), le Conseil d’État juge qu’en application de l’article L.  481-1 du Code de l’urbanisme, le maire est compétent pour ordonner, y compris sous astreinte, la démolition d’une construction réalisée irrégulièrement.

Quels sont les pouvoirs de police spéciale du maire confronté à des travaux irréguliers ?
© Par Xiongmao - stock.adobe.com

En cas de travaux réalisés sans autorisation d’urbanisme ou en méconnaissance de celle-ci, s’il appartient au maire de constater l’infraction, d’en faire dresser le procès-verbal1 et, le cas échéant, de prescrire l’interruption de ces travaux2, la démolition, la mise en conformité de ces travaux ou la remise en état sont des mesures qui relèvent en principe de la compétence du juge pénal3. Ce n’est qu’à l’expiration du délai imparti attribué à l’auteur de l’infraction pour exécuter l’injonction du juge, que le maire peut faire procéder d’office à tous les travaux nécessaires à l’exécution de cette décision de justice4.

Ce mécanisme de répression pénale s’est avéré en pratique insuffisant pour lutter contre les infractions aux règles d’urbanisme et pour assurer l’effectivité de celles-ci.

C’est la raison pour laquelle le législateur est intervenu en 2019 afin de renforcer le pouvoir de police du maire en cas de réalisation de travaux irréguliers.

L’article 48 de la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement de la vie locale et à la proximité de l’action publique a inséré, dans le Code de l’urbanisme, un article L. 481-1 qui dispose en son premier alinéa :

« I.- Lorsque des travaux mentionnés aux articles L. 421-1 à L. 421-5 ont été entrepris ou exécutés en méconnaissance des obligations imposées par les titres Ier à VII du présent livre et les règlements pris pour leur application ainsi que des obligations mentionnées à l’article L. 610-1 ou en méconnaissance des prescriptions imposées par un permis de construire, de démolir ou d’aménager ou par la décision prise sur une déclaration préalable et qu’un procès-verbal a été dressé en application de l’article L. 480-1, indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées pour réprimer l’infraction constatée, l’autorité compétente mentionnée aux articles L. 422-1 à L. 422-3-1 peut, après avoir invité l’intéressé à présenter ses observations, le mettre en demeure, dans un délai qu’elle détermine, soit de procéder aux opérations nécessaires à la mise en conformité de la construction, de l’aménagement, de l’installation ou des travaux en cause aux dispositions dont la méconnaissance a été constatée, soit de déposer, selon le cas, une demande d’autorisation ou une déclaration préalable visant à leur régularisation ».

Par sa décision du 22 décembre 2022, le Conseil d’État est venu préciser l’étendue du pouvoir du maire lorsqu’il met en demeure le contrevenant de procéder aux opérations nécessaires à la mise en conformité des travaux réalisés en violation de l’autorisation d’urbanisme accordée ou des règles d’urbanisme applicables.

Les opérations nécessaires à la mise en conformité de travaux irréguliers incluent la démolition

À l’origine de l’affaire sur laquelle le Conseil d’État s’est prononcé, étaient en cause des travaux exécutés en vertu d’une décision de non-opposition à déclaration préalable qui avait autorisé notamment la réalisation d’une clôture constituée d’un mur maçonné enduit de 25 cm de hauteur, percé en partie basse pour permettre le passage des animaux sauvages et surmonté d’un grillage à larges mailles d’une hauteur de 1,55 mètre, sur une parcelle située en zone agricole de la commune de Villeneuve-lès-Maguelone.

Ce projet était conforme au plan local d’urbanisme qui prévoyait, en zone agricole, une hauteur maximale de 1,80 mètre pour les clôtures devant par ailleurs être réalisées en grillage à larges mailles, en teinte sombre, avec un mur de soubassement ne pouvant excéder 25 cm.

Lors d’une visite sur les lieux, un agent municipal avait constaté qu’à la place du grillage, un mur de parpaings de teinte blanche, d’une longueur de 5 mètres et d’une hauteur de 2 mètres, avait été édifié et qu’un panneau solaire avait été installé sur ce mur.

Après l’établissement d’un procès-verbal d’infraction, le maire avait pris contre la contrevenante, en application de l’article L. 481-1 précité, un arrêté de mise en demeure de se mettre en conformité avec la décision de non-opposition à déclaration préalable délivrée, en démolissant le mur plein et en supprimant le panneau solaire proscrit par le PLU en zone agricole ; cette mise en demeure étant assortie d’une astreinte de 100 euros par jour de retard.

Saisi par sur le fondement de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative, le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a suspendu l’exécution de cette décision de mise en demeure, après avoir regardé comme propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté de mise en demeure la circonstance que la contrevenante avait été mise en demeure, pour assurer la mise en conformité des travaux dont l’irrégularité avait été constatée, de procéder à une démolition, même partielle, du mur plein en litige.

En d’autres termes, le juge des référés a considéré que l’article L. 481-1 précité ne permettait pas au maire de mettre l’auteur de l’infraction en demeure de démolir la construction irrégulièrement édifiée.

La commune de Villeneuve-lès-Maguelone ayant formé un pourvoi en cassation contre l’ordonnance de suspension, le Conseil d’État a dû s’interroger sur l’étendue du pouvoir de police spéciale du maire prévu par cet article L. 481-1.

S’appuyant sur les travaux parlementaires préparatoires à l’adoption de la loi du 27 décembre 2019 et relevant que la finalité des dispositions de l’article L. 481-1 est « de renforcer le respect des règles d’utilisation des sols et des autorisations d’urbanisme », le Conseil d’État estime qu’en cas de travaux soumis à autorisation d’urbanisme et entrepris ou exécutés irrégulièrement, cet article permet à l’autorité compétente de délivrer cette autorisation, dans le cadre de ses pouvoirs de police spéciale et indépendamment des poursuites pénales susceptibles d’être exercées pour réprimer l’infraction, de mettre l’intéressé en demeure :

  • soit de solliciter l’autorisation ou la déclaration nécessaire ; autrement dit de procéder à la régularisation des travaux irréguliers par l’obtention d’une nouvelle autorisation d’urbanisme ;
  • soit de mettre les travaux en conformité avec les dispositions dont la méconnaissance a été constatée, « y compris, si la mise en conformité l’impose, en procédant aux démolitions nécessaires ».

Si la régularisation de la construction ou des travaux irrégulièrement entrepris n’est pas envisageable, les opérations nécessaires à la mise en conformité, que le maire peut prescrire sur le fondement de l’article L. 481-1 précité, peuvent légalement inclure la démolition.

Au cas d’espèce, parce que les règles du PLU applicables à la zone agricole interdisaient l’installation de panneaux solaires et les clôtures de plus de 1,80 mètre et les murs pleins supérieurs à 0,25 mètre, les travaux effectués en violation tant de la décision de non-opposition à déclaration préalable qu’aux règles d’urbanisme n’étaient pas régularisables et ne pouvaient que conduire le maire à en ordonner la démolition au titre des opérations nécessaires à leur mise en conformité.

Par sa décision du 22 décembre 2022, le Conseil d’État censure donc le raisonnement du juge des référés et rejette la demande de suspension de l’arrêté de mise en demeure prise par le maire de Villeneuve-lès-Maguelone.

L’exercice de ce pouvoir de police spéciale reste soumis au respect des principes de proportionnalité et du contradictoire

À la lecture des dispositions de l’article L. 481-1 telles qu’interprétées par le Conseil d’État dans son arrêt du 22 décembre 2022, il apparaît que le maire n’est pas tenu de mettre en œuvre son pouvoir de police spéciale lorsqu’il constate la réalisation de travaux irréguliers.

Cette mise en demeure « de se mettre en conformité » reste une faculté pour le maire qui dispose ainsi d’un pouvoir d’appréciation.

Mais s’il entend, après avoir fait dresser un procès-verbal, exercer son pouvoir de police spéciale, le choix de la mesure qu’il imposera, dans sa mise en demeure, à l’auteur de l’infraction, n’est pas entièrement libre.

En effet, le principe de proportionnalité qui joue en matière de police administrative doit le conduire à n’ordonner la démolition des travaux irrégulièrement réalisés que si leur régularisation est impossible et si aucune autre mesure ne peut assurer leur conformité aux règles d’urbanisme méconnues.

En outre, le maire sera tenu de respecter le principe du contradictoire en invitant l’auteur de l’infraction à présenter ses observations avant de prendre sa décision de mise en demeure.

Il en va de même de l’astreinte dont le maire peut assortir la mise en demeure : ce dernier a le choix de la prononcer ou non.

Elle peut être décidée dès la mise en demeure ou à tout moment après l’expiration du délai imparti par la mise en demeure, s’il n’y a pas été satisfait. Mais, dans ce dernier cas, l’auteur de l’infraction doit de nouveau avoir été invité à présenter ses observations avant le prononcé de l’astreinte, laquelle ne peut en tout état de cause être supérieur à 500 euros par jour de retard et excéder le montant global de 25 000 euros5.

Donatien de Bailliencourt, Avocat Associé, HMS Avocats


1. Article L. 480-1 du Code de l’urbanisme.

2. Article L. 480-2 du Code de l’urbanisme.

3. Article L. 480-7 du Code de l’urbanisme.

4. Article L. 480-9 du Code de l’urbanisme.

5. III de l’article L. 481-1 du Code de l’urbanisme.

Auteur :

Donatien de Bailliencourt

Donatien de Bailliencourt

Avocat Associé, HMS Avocats


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