Analyse des spécialistes / Commande publique

Données essentielles de la commande publique : vers une simplification ?

Publié le 5 décembre 2023 à 10h30 - par

La commande publique n’échappe pas au mouvement d’ouverture des données (ou open data). En effet, ce mouvement est une politique publique considérant la donnée publique comme un bien commun dont la diffusion est d’intérêt général.

Données essentielles de la commande publique : vers une simplification ?
© Par Golden Sikorka - stock.adobe.com

L’ouverture des données est une information publique brute qui est librement accessible et réutilisable par tout le monde. Les données peuvent être d’origine publique ou privée et peuvent portées sur toutes thématiques (santé, économie, environnement, tourisme, mobilité…). En France, l’open data s’inscrit dans le cadre de la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique (ou loi Lemaire) qui comprend, notamment, une section 1 relative à l’ouverture de l’accès aux données publiques.

En matière de commande publique, l’open data est prévue à l’article L. 2196-2 du Code de la commande publique qui précise que « (…) l’acheteur rend accessible sous un format ouvert et librement réutilisable les données essentielles du marché, hormis celles dont la divulgation méconnaîtrait les dispositions de l’article L. 2132-1 ou serait contraire à l’ordre public ».

Le décret n° 2022-767 du 2 mai 2022 portant diverses modifications du Code de la commande publique et les arrêtés du 22 décembre 2022 viennent modifier le cadre règlementaire des données essentielles de la commande publique qui entrera en vigueur à compter du 1er janvier 2024 et s’appliqueront aux marchés publics notifiés à compter de cette date.

Toutefois, cette évolution règlementaire n’est pas nécessairement synonyme de simplification pour les acheteurs publics.

1. La fusion des données essentielles et des données du recensement économique de l’achat public

L’action 16 du Plan de transformation numérique de la commande publique prévoyait la fusion des données essentielles de la commande publique (DECP) et des données du recensement économiques des achats publics (REAP) dans un objectif de simplification de la collecte des données et de renforcement de la transparence de la commande publique.

Le décret n° 2022-767 du 2 mai 2022 vient acter l’action 16 en créant une obligation de publier les DECP sur le portail national des données ouvertes à compter de 40 000 euros HT. À partir de ces DECP, l’Observatoire économique de la commande publique (OECP) pourra réaliser le recensement économique annuel des achats publics sans action supplémentaire des acheteurs publics.

Ainsi, cette évolution règlementaire est une simplification pour les acheteurs publics. Toutefois, cette fusion des deux dispositifs s’accompagne d’une augmentation des données essentielles à publier

2. L’augmentation des données essentielles à publier

Dans le cadre de ce nouveau dispositif, l’arrêté du 22 décembre 2022 relatif aux données essentielles des marchés publics vient préciser les données à publier sur le portail national.

Ainsi, les acheteurs devront publier des données valables au moment de la notification du marché (27 données par marché et 7 données par sous-traitant déclaré au stade de l’offre) et des données relatives à l’évolution du marché (6 données par modification du marché et 5 données par modification de la déclaration de sous-traitance).

Dans le détail, la principale nouveauté est l’obligation de publier les données essentielles liées à la sous-traitance. Cette évolution s’inscrit certainement dans la continuité de l’étude relative à la sous-traitance dans les marchés publics publiée en juillet 2020 par l’OECP qui souffrait du manque de données sur ce sujet.

S’agissant des données relatives à l’achat public responsable, l’acheteur devra préciser si le marché comprend des considérations sociales (clause sociale, critère social ou pas de considération), des considérations environnementales (clause environnementale, critère environnemental ou pas de considération) et si le marché porte sur une solution innovante (oui ou non). Ces données s’inscrivent dans le cadre, d’une part, des objectifs fixés par le Plan national des achats durables (PNAD) pour la période 2022-2025 et, d’autre part, de la mesure des marchés portant sur des solutions innovantes (indépendamment du recours à l’article R. 2122-9-1 du Code de la commande publique).

Enfin, pour 4 segments d’achat, les acheteurs publics devront également publier les données relatives à l’origine géographique des produits.

3. Le recensement des données relatives à l’origine géographique de certains produits

La seconde principale nouveauté du cadre règlementaire est l’obligation de recenser les données relatives à l’origine géographique de certains produits. Plus précisément, pour « les marchés de fournitures de denrées alimentaires, de véhicules, de produits de santé et d’habillement dont la liste figure dans le tableau de l’annexe II du présent arrêté », les acheteurs publics devront publier la part des produits issus de l’Union européenne, dont la part de produits français, avec laquelle le marché sera exécuté.

En pratique, la donnée à renseigner sera un nombre décimal correspondant à un pourcentage (ex. : 0.6 pour 60 %) et le nombre pour l’UE ne peut être inférieur au nombre pour la France (car la France fait partie de l’UE). Selon la fiche technique de la DAJ, cette donnée est appréciée sur « la base d’un panier type estimé servant également au jugement des offres, par exemple représentatif de la consommation des années passées ».

En outre et surtout, il conviendra de se mettre d’accord sur la notion de « produits issus de l’UE » et « produits français » sachant qu’aucune disposition européenne ou nationale n’impose l’apposition d’un marquage d’origine sur les produits importés ou fabriqués dans l’UE (à l’exception des produits agricoles et alimentaires).

En préambule, il convient de noter qu’une entreprise ayant son siège en France (avec un SIREN et un numéro de TVA) ne signifie pas que le produit est français ou issu de l’UE. En effet, une société française peut vendre des produits fabriqués à l’étranger (UE ou hors UE).

De plus, selon l’article 60.2 du Code des douanes de l’UE, le produit est réputé originaire de l’UE ou de la France dès lors qu’il y a été entièrement produit ou que sa dernière « dernière ouvraison ou transformation substantielle, économiquement justifiée, effectuée dans une entreprise équipée à cet effet et ayant abouti à la fabrication d’un produit nouveau ou correspondant à un stade de fabrication important ». Autrement dit, un produit avec la mention « fabriqué en France » ne signifie pas que 100 % des étapes de fabrication d’un produit ont été réalisées en France mais qu’il a subi sa dernière transformation substantielle en France.

Par conséquent, les acheteurs seront contraints de solliciter ces données auprès des titulaires dès la notification du marché en s’appuyant sur une clause intégrée dans le CCAP sur la base du modèle de la DAJ.

Évidemment, ces données seront uniquement déclaratives sauf si le produit bénéficie d’une indication géographique protégée (AOP, AOC) ou de labels privés (Origine France Garantie, France Terre Textile, Produit en Bretagne).

Enfin, il convient de noter que la Direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) propose un service gratuit aux entreprises afin d’assurer qu’elles ont le droit d’utiliser la mention « fabriqué en France » sur l’un de ses produits.

Conclusion

Comme la plupart des dernières évolutions législatives et règlementaires, cette nouvelle modification créé une nouvelle charge pour les acheteurs publics. En effet, la collecte de toutes ces données essentielles ne sera pas automatisée au 1er janvier 2024 et ne sera surement pas automatisable pour certaines (ex. Origine géographique de certains produits).

S’agissant de l’origine géographique de certains produits, en l’absence de labels privés et d’indication géographique protégée, l’acheteur public sera contraint de se contenter des déclarations de titulaire sans avoir la certitude que ce dernier connait réellement sa chaine d’approvisionnement (ex. : distributeur, assemblier). Cette question met en exergue la nécessité pour les acheteurs publics d’interroger les fournisseurs sur leur chaine d’approvisionnement afin de faire évoluer leur stratégie d’achat dans le but de réduire les émissions de gaz à effet serre (GES) importées.

Baptiste Vassor, juriste, expert achat public et administrateur de l’APASP

Auteur :

Baptiste Vassor

Baptiste Vassor

Juriste, expert achat public et administrateur de l'APASP