Analyse des spécialistes / Urbanisme

Autorisations d’urbanisme : la majoration illégale du délai d’instruction n’a pas d’incidence sur la naissance d’une autorisation tacite

Publié le 6 décembre 2023 à 8h30 - par

Les services instructeurs ne peuvent faire échec à la naissance d’une autorisation d’urbanisme tacite par une demande illégale de pièces complémentaires ou une décision tardive de modification du délai d’instruction.

Les services instructeurs ne peuvent faire échec à la naissance d’une autorisation d’urbanisme tacite par une demande illégale de pièces complémentaires
© Par Francesco Scatena - stock.adobe.com

Saisie de demandes d’autorisation d’urbanisme (permis de construire, d’aménager, de démolir ou de déclaration préalable), l’autorité administrative compétente peut être tentée, face à certains projets, de vouloir allonger le délai d’instruction de droit commun à l’expiration duquel naît en principe une autorisation tacite, afin de bénéficier du temps qu’elle juge nécessaire à l’instruction de ces demandes et d’éviter ainsi la naissance d’une décision implicite d’acceptation.

En effet, le service instructeur peut solliciter du pétitionnaire la transmission d’une ou de plusieurs pièces manquantes qui ne figurent pas au dossier ; cette demande étant de nature à retarder le déclenchement du délai d’instruction jusqu’à ce que le demandeur y réponde.

Elle peut également entendre faire application de l’une des hypothèses de majoration ou de prolongation du délai d’instruction qui sont prévues dans le Code de l’urbanisme.

Toutefois, la mise en œuvre de ces prérogatives, qui sont de nature à faire échec à la naissance d’une autorisation tacite, fait désormais l’objet d’un contrôle strict de la part du juge administratif.

L’absence de notification d’une décision expresse dans le délai d’instruction de droit commun confère en principe au pétitionnaire une autorisation d’urbanisme tacite

Hormis des exceptions limitativement énumérées1, le silence gardé par l’autorité administrative compétente sur la demande d’autorisation d’urbanisme vaut, selon l’hypothèse considérée, décision de non-opposition tacite ou permis de construire, de démolir ou d’aménager tacite à défaut de notification d’une décision expresse dans le délai d’instruction de droit commun2.

Ce délai de droit commun est d’un mois pour les déclarations préalables et de deux ou trois mois pour les demande des permis de construire, de démolir et d’aménager3.

Il peut toutefois faire l’objet d’une majoration ou d’une prolongation exceptionnelle d’un ou de plusieurs mois selon la nature du projet pour lequel l’autorisation est sollicitée ou selon la nécessité de consulter préalablement telle ou telle commission, dans les hypothèses réglementairement définies4.

Le délai d’instruction, qui doit être porté à la connaissance du demandeur par un récépissé adressé par l’autorité administrative5, ne court qu’au jour de la réception en mairie d’un dossier complet6.

Mais « le dossier est réputé complet » si l’autorité administrative compétente ne notifie pas au demandeur, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, la liste exhaustive des pièces manquantes dans le délai d’un mois courant à compter du dépôt ou de la réception de ce dossier7.

Autrement dit, l’administration dispose d’un délai d’un mois pour s’assurer que le dossier de demande comporte toutes les pièces exigibles et pour solliciter la transmission des pièces manquantes.

La demande illégale de pièces complémentaires n’interrompt pas le délai d’instruction et ne fait pas obstacle à la naissance d’une autorisation tacite à l’expiration de ce délai

Si l’administration entend demander au pétitionnaire la transmission de pièces manquantes, sa lettre doit alors informer l’intéressé :

  • qu’il est tenu de les transmettre dans un délai de trois mois à compter de la réception de la demande ;
  • qu’à défaut de production de l’ensemble des pièces manquantes dans ce délai, sa demande d’autorisation fera l’objet, selon la nature de l’autorisation demandée, d’une décision tacite de rejet ou d’opposition ;
  • et que le délai d’instruction ne commence à courir qu’à compter de la réception des pièces manquantes par la mairie8.

Si la demande de production de pièces manquantes est notifiée après la fin de ce délai d’un mois ou si elle ne porte pas sur l’une des pièces devant être comprises dans le dossier de demande, l’article R.* 423-41 du Code de l’urbanisme précise qu’elle n’a alors pas pour effet de modifier le délai d’instruction.

Sur la base de ces dispositions, le Conseil d’État a estimé, dans une décision de Section du 9 décembre 20229, que le délai d’instruction n’est ni interrompu, ni modifié par une demande illégale tendant à compléter le dossier par une pièce qui n’est pas exigée en application du livre IV de la partie réglementaire du Code de l’urbanisme.

Il faut en effet rappeler que la liste des pièces constitutives des dossiers de demande d’autorisation d’urbanisme, qui est énoncée dans le livre IV de la partie réglementaire du Code de l’urbanisme, présente un caractère limitatif et que l’autorité administrative compétente ne peut pas exiger d’autres pièces non prévues par les textes législatifs ou réglementaires en vigueur10.

Dans sa décision du 9 décembre 2022, le Conseil d’État a ainsi entendu préserver le principe selon lequel l’absence de décision expresse à l’expiration du délai d’instruction vaut autorisation tacite, en retenant qu’une décision de non-opposition à déclaration préalable ou un permis tacite naît à l’expiration du délai d’instruction sans que la demande illégale de pièces complémentaires puisse y faire obstacle.

La notification tardive d’une modification du délai d’instruction de droit commun ou une modification non motivée est sans incidence sur ce délai d’instruction à l’expiration duquel naît une autorisation d’urbanisme tacite

Si elle entend modifier le délai d’instruction de droit commun, l’autorité administrative compétente doit indiquer au pétitionnaire, dans le même délai d’un mois à compter de la réception ou du dépôt du dossier à la mairie :

  • le nouveau délai et, le cas échéant, son nouveau point de départ ;
  • les motifs de la modification de délai ;
  • et, si le projet entre dans l’une des exceptions au principe selon lequel le silence vaut acceptation, qu’à l’issue du délai, le silence éventuel de l’autorité compétente vaut refus tacite du permis11.

À défaut de notification, la modification du délai d’instruction de droit commun n’est pas applicable12.

La même obligation s’impose à l’autorité administrative pour les cas de prolongations exceptionnelles du délai de droit commun13.

Soucieux là encore de préserver le principe de la naissance d’une autorisation tacite en l’absence de notification d’une décision expresse au terme du délai d’instruction, le Conseil d’État a jugé, dans un arrêt du 24 octobre 202314, que la modification du délai d’instruction notifiée après l’expiration du délai d’un mois prévu à l’article R.* 423-18 ou qui, bien que notifiée dans ce délai, ne serait pas motivée par l’une des hypothèses de majoration prévues aux articles R. 423-24 à R.* 423-33, n’a pas pour effet de modifier le délai d’instruction de droit commun à l’issue duquel naît un permis tacite ou une décision de non-opposition tacite.

Par cette même décision, il a précisé que s’il appartient à l’autorité compétente, le cas échéant, d’établir qu’elle a procédé à la consultation ou mis en œuvre la procédure ayant motivé la prolongation du délai d’instruction, le bien-fondé de cette prolongation est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée.

Les solutions dégagées par le Conseil d’État dans ses deux arrêts invitent les services instructeurs à se montrer plus vigilants pour solliciter des pièces complémentaires auprès du pétitionnaire ou pour décider d’allonger le délai d’instruction de la demande d’autorisation d’urbanisme.

Donatien de Bailliencourt, Avocat Associé, HMS Avocats


1. Exceptions définies aux articles R.* 424-2 et R.* 424-3 du Code de l’urbanisme.

2. Articles L. 424-2 et R.* 424-1 du Code de l’urbanisme.

3. Article R.* 423-23 du Code de l’urbanisme.

4. L’article L. 421-3 du Code de l’urbanisme précise que « aucune prolongation du délai d’instruction n’est possible en dehors des cas et conditions prévus par ce décret ». Les hypothèses de majoration du délai de droit commun sont définies aux articles R. 423-24 à R.* 424-33 de ce code et les cas de prolongation exceptionnelles du délai de droit commun sont précisés aux articles R.* 423-34 à R.* 423-37-3 du même code.

5. Article R.* 423-18 du Code de l’urbanisme.

6. Article R.* 423-19 du Code de l’urbanisme. Les exceptions sont prévues aux articles R.* 423-20 à R.* 423-21-1 du même Code.

7. Articles R.* 423-22 et R.* 423-38 du Code de l’urbanisme.

8. Article R.* 423-39 du Code de l’urbanisme.

9. CE Sect., 9 décembre 2022, Commune de Saint-Herblain c. Société TDF, req. n° 454521, concl. Ph. Ranquet, BJDU 1/2023, p. 35. Cette décision met fin à la solution inverse retenue par le Conseil d’État dans son arrêt Commune d’Asnière-sur-Nouère du 9 décembre 2015 (req. n° 390273).

10. v. par ex. CE, 21 octobre 2013, SA Orange France, req. n° 360481.

11. Article R.* 423-42 du Code de l’urbanisme.

12. Article R.* 423-43 du Code de l’urbanisme.

13. Articles R.* 423-44 et R.* 423-45 du Code de l’urbanisme.

14. CE, 24 octobre 2023, M. A. B. c. Ville d’Aix-en-Provence, req. n° 462511.

Auteur :

Donatien de Bailliencourt

Donatien de Bailliencourt

Avocat Associé, HMS Avocats


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