La coopération comme horizon des relations entre l’État et les organisations publiques locales ?

Publié le 12 juin 2020 à 9h47 - par

Dans cette rubrique nous vous proposons, chaque vendredi, une synthèse des interviews d’acteurs locaux que nous avons réalisées pendant le confinement pour WEKA. Cette semaine, nous revenons sur un enjeu fort de l’action publique que la crise replace au centre du débat public. Celui de l’articulation entre le niveau central et le niveau local.

La coopération comme horizon des relations entre l'État et les organisations publiques locales ?

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Les acteurs publics face à la crise sanitaire
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Les tensions entre l’État et les organisations publiques locales ont été évidentes pendant la crise. Elles sont liées à différents facteurs. Nous vous proposons de revenir sur ceux qui ressortent très clairement des entretiens.

Mais tout d’abord faisons un petit détour par l’intervention de Xavier Dussel, Directeur de la prévention et de la sécurité publique de la ville de Romans-sur-Isère, lors de la web-conférence organisée par WEKA le 20 mars 2020 intitulée : « Pandémie du coronavirus : gestion de crise et continuité des services publics ».

Sa présentation plante le décor

Avec la pandémie, nous sommes passés en état d’urgence sanitaire, qui ressemble à l’état d’urgence militaire, en ce qu’il donne la main à l’État et insuffle un pouvoir vertical descendant. L’État a pris le contrôle de la gestion de la crise et les collectivités locales se retrouvent alors positionnées comme un échelon d’exécution. En outre, les maires se sont retrouvés intégrés à la chaine verticale de gestion de l’épidémie du fait de leurs responsabilités spécifiques en matière d’éradication des maladies épidémiques contagieuses. Ils ont donc eu à agir comme représentant de l’État.

La pression sur les collectivités locales, notamment, a été double, par le haut et par le bas. Le risque de mélange des hiérarchies était bien réel. Elles ont également dû faire face à un double enjeu de coordination des moyens d’une part, et de préservation de la direction de leurs services pour les services publics qui leur étaient propres de l’autre. À cela s’est ajouté l’avalanche de textes, parfois contradictoires, dans laquelle il a fallu évoluer. Il est donc logique et « normal », pour Xavier Dussel, que les relations entre l’État et les organisations publiques locales aient été plutôt tendues pendant cette période de gestion de crise.

Et c’est bien cette tension qui ressort de certains témoignages autour de la frustration, voire la colère, à l’égard de l’État. « Il a manqué de réactivité ». « Il n’avait aucune stratégie claire pour organiser les actions. » « Sa communication a été confuse, en rideau de fumée » nous dit Martin Dizières, Directeur du Pôle Aménagement et Développement du Territoire de la ville de Mions. Ce sont aussi ses hésitations et les lenteurs administratives qui ont eu de lourdes répercussions locales qui sont pointées. Mais la non prise en compte et la non-association des organisations publiques locales dans le processus décisionnel pour la gestion de la crise sont sans doute les deux reproches les plus forts fait à l’État. Or, ce sont ces mêmes organisations publiques locales qui ont été en premières lignes pour la mise en œuvre des mesures rappelle Bruno Gerentes, DGS Communauté d’agglomération du bassin de Bourg-en-Bresse.

Passer par les médias pour faire des annonces sans qu’elles n’aient encore été communiquées officiellement et que donc les préfets ne soient en mesure d’appliquer immédiatement quoi que ce soit, a été un véritable souci selon Mathias Trorgrlic, DGS de la ville de Chambly. Car sur le terrain les acteurs publics locaux étaient immédiatement submergés d’appels, alors même qu’ils n’avaient aucun moyen de mettre en application quoi que ce soit sans consigne. Il est d’ailleurs à noter que ce mode de communication a été un handicap pour les préfectures également. C’est donc moins l’État contre les organisations publiques locales, et particulièrement les collectivités locales, que l’État sur le territoire qui est interrogé. D’ailleurs, l’un des interviewés n’hésite pas à affirmer que le problème est sans doute que l’État déconcentré n’est pas assez décentralisé…

En outre, la gestion centralisée et descendante de la crise est contradictoire avec l’ère des réseaux sociaux et plus globalement du numérique. L’État, dans ses procédures descendantes, a été en retard sur un certain nombre d’enjeux. Les témoignages offrent de nombreuses illustrations de ce phénomène. Autant de temps de latences difficile à gérer qui se sont également ressentis au niveau des organisations locales sous tutelles centrales telle que l’Université. Il s’agit aussi de l’Éducation nationale. Pour certains, le ministère a avancé à son propre rythme sans se soucier des structures qui fonctionnent autour de lui. Beaucoup de collectivités locales « ont été obligées auprès » de l’Éducation nationale pour que ça marche.

Tout problème ouvrant des opportunités, ces tergiversations étatiques, les informations floues, voire contradictoires, en fonction des interlocuteurs ont conduit à plus de coopération inter-collectivités et à plus d’agilité, constate Florence Baco-Ambrass, DGS de Palaiseau.

Pour l’avenir, il est nécessaire de mieux anticiper le mode de fonctionnement de crise avec les partenaires de l’État. Eu égard à l’importance du rôle joué par les organisations publiques locales, elles doivent être mieux informées, ne plus avoir à perdre de temps à aller chercher l’information et elles ne peuvent être oubliées dans les directives. Le soutien des services de l’État et la synergie entre acteurs public devront être mieux structurés localement pour traiter rapidement des difficultés, qui sinon deviennent vite lourdes. Ce fut, par exemple le cas pendant la crise de la fermeture du service du casier judiciaire. L’impact direct a été l’impossibilité d’obtenir des extraits de casier judiciaire empêchant le recrutement d’agents pour faire face aux besoins pendant la crise notamment dans les services d’aides à l’enfance, explique Virginie Haldric, DGA modernisation et performance de l’administration du Département du Var. De même, il faudrait trouver des solutions pour mettre en place une régie d’avance, afin d’assurer le versement des aides financières d’urgence puisque la paierie est fermée au public pendant la crise, propose Florence Baco-Ambrass. Bref la crise a le mérite de faire ressortir les blocages et les solutions possibles. Dans tous les cas, comme le souligne Bruno Gerentes, l’échelon local doit véritablement être pensé comme socle de déploiement des politiques publiques.

Ensuite, la question des moyens est un enjeu majeur pour la suite et sans doute de la reconnaissance de l’importance des organisations publiques locales par l’État. Car le coût de la gestion de la crise pour les collectivités locales va être lourd à absorber. Donc si demain l’État « nous serre à nouveau la ceinture pour financer d’autres déficits ce sera double peine » avertit Baudouin Ruyssen, DGS de la ville de Besançon.

En effet, dans ces relations entre l’État et les organisations publiques locales, le passif était déjà lourd avant la crise. Il s’inscrit dans des décennies de politiques de réduction des marges de manœuvre, des budgets et du pouvoir, par l’État, pour les collectivités locales. Dès lors, le premier réflexe pour certains, a été de penser que la crise avait redonné leur souffle, voire offert leur revanche aux organisations publiques locales. Elles ont été au rendez-vous et ont pallié, au moins symboliquement, dans la représentation des citoyens, les flous de l’État central.

Mais très vite ce qui ressort dans les entretiens c’est que la coopération est la seule perspective possible. Les citoyens ont repris conscience que le service public est le socle de la République. Mais ils ont aussi pu voir que l’État central ou déconcentré n’est pas tout puissant. Il est parfois faillible même en local. De même, les collectivités locales savent se mobiliser et innover avec une réactivité assez exceptionnelle. Mais elles ont aussi leurs faiblesses. C’est pourquoi, comme le formule Olivier Gregoire, DGS au Conseil Départemental de la Charente, personne ne peut prétendre avoir le monopole. La clé passe par le fait de travailler ensemble sans morgue ni suffisances, dans l’humilité requise par le service de l’intérêt général. En cela, l’approche territoriale, à savoir l’engagement, la convergence et la coopération des acteurs publics et privés (société civile et entreprises) sur le territoire pour développer des solutions collectives, est un espoir.

Et la gestion de la crise sanitaire offre d’ailleurs de beaux exemples d’une telle évolution qui place la coopération comme perspective des relations entre l’État et les organisations publiques locales. Dans certains territoires, la préfecture a véritablement joué le rôle de facilitateur auprès des organisations publiques locales et des autres acteurs du territoire. Les témoignages soulignent alors l’importance du soutien apporté par la préfecture. Les services locaux de l’État, l’État local selon l’expression de Fréderic Fievet, DGS de la ville de Tours, et en tout premier lieu les services de la préfecture ont été extrêmement mobilisés, réactifs, soutenants et au final efficaces.

C’est aussi la perspective donnée par Christophe Quintelier, Directeur général de la communauté de communes de Pévèle-Carembault, dans un témoignage pour le CDG59. Il constate que, « le préfet a organisé plusieurs rencontres pour échanger et veiller à la cohérence des dispositions prises par les EPCI dans leur action économique, ou sensibiliser sur les actions à mettre en œuvre pour limiter les impacts de la crise sur le secteur du BTP. J’ai su que dans d’autres départements ce type de démarche avait été également entrepris pour d’autres sujets. C’était pour notre part, la première fois, que l’État s’inscrivait dans un dialogue collectif et non plus bilatéral avec les EPCI pour traiter d’un problème collectif ».

Cette évolution du rôle du préfet comme facilitateur, qu’appelle de ces vœux la sous-préfète de l’arrondissement de Vervins, Sonia Hasni, va dans le sens de la propre évolution des organisations publiques locales. Cette ouverture ainsi que la coopération inter-institutionnelle et avec les acteurs du territoires a d’ailleurs constitué l’un des vecteur de l’agilité des services publics locaux pendant la crise.

L’horizon public serait ainsi marqué par une mutation du rôle des organisations publiques d’administration de contrôle à accompagnatrices. Cela vaudrait tant dans les relations entre l’État et les organisations publiques locales, qu’entre les organismes publics locaux eux-mêmes ainsi qu’avec les acteurs de la société civile et les entreprises. Pour Nicolas Pernot, DGS de la Région Grand Est, nous avançons vers un rôle des organisations publiques de gestionnaire de réseau et de facilitateur sur le territoire.

Ce sont bien les modalités de l’action publique qui changent. La crise du Covid aura sans doute permis cette mutation systémique, ce changement de paradigme, tant attendu vers la coproduction de l’action publique et la prise en compte des besoins et des contextes. Et, les initiatives qui naissent sur les territoires pour penser l’après donnent deux grandes directions : la transition écologique et les questions autour du lien. Pour Sonia Hasni, ils doivent être la boussole de l’action publique et construits avec l’ensemble des acteurs.

Séverine Bellina et Hugues Perinel, Réseau service public


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