Analyse des spécialistes / Urbanisme

Les apports de la loi Élan quant à l’urbanisation du littoral

Publié le 5 avril 2019 à 10h20 - par

La loi Élan est entrée en vigueur le 25 novembre 2018. Certaines de ses dispositions concernent notamment les communes du bord de mer puisqu’elles viennent assouplir la loi Littoral en permettant l’urbanisation du littoral. Jean-Baptiste Dubrulle, Avocat associé, et Kévin Holterbach, Avocat, tous deux chez Bignon Lebray, nous apportent des précisions sur le volet littoral de la loi Élan.

Les apports de la loi Élan quant à l'urbanisation du littoral

La récente loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi Élan, modifie un texte emblématique du droit de l’urbanisme français, venant tout juste de passer l’âge christique : la Loi Littoral, qui concerne un pan non négligeable du territoire français : 26 départements littoraux, 30 % de la superficie du territoire métropolitain, pour un linéaire côtier d’environ 6 123 kilomètres de long1.

La loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral, dite loi Littoral, à l’instar de la loi Montagne, avait pour objet, comme son nom l’indique, la mise en place de règles spécifiques d’aménagement, de protection et de mise en valeur du littoral français, particulièrement symbolique. L’équilibre du texte reposait alors sur un principe d’inconstructibilité du littoral, sauf exception.

Les articles 42 à 45 de la loi Élan bouleversent cet équilibre, en assouplissant considérablement les conditions de fond et de forme permettant l’urbanisation du littoral.

Le SCOT joue désormais un rôle prépondérant

En premier lieu, la loi Élan fait du schéma de cohérence territoriale (SCOT) la pierre angulaire (voire de Rosette) de l’application de la loi Littoral aux territoires. Selon les nouvelles dispositions de l’article L. 121-3 du Code de l’urbanisme : le SCOT doit préciser « en tenant compte des paysages, de l’environnement, des particularités locales et de la capacité d’accueil du territoire, les modalités d’application des dispositions » de la loi Littoral.

Le même SCOT définit « les critères d’identification des villages, agglomérations et autres secteurs déjà urbanisés (…) et en définit la localisation ». Or, précisément, le principe fondamental de la loi Littoral est celui de l’extension de l’urbanisation en continuité du bâti existant, lequel sera donc défini et localisé par le SCOT.

En d’autres termes, pour savoir où construire sur le littoral, il faudra désormais consulter le SCOT dont relève le territoire en cause.

La loi Élan modifie ensuite, et surtout, considérablement, le principe d’extension limitée de l’urbanisation

Jusqu’alors, la loi Littoral n’autorisait expressément que deux hypothèses permettant de construire de nouveaux bâtiments, sur le littoral. Il fallait que cette nouvelle construction s’inscrive (cf. article L. 121-8 du Code de l’urbanisme) :

  • soit en continuité avec les agglomérations et villages existants ;
  • soit en hameaux nouveaux intégrés à l’environnement.

Cette dernière notion avait été précisée par le juge administratif (Conseil État, 3 avril 2014, n° 360902). Pour être autorisé, le projet devait remplir une condition de forme et une condition de fond, respectivement :

  • d’une part, le document local d’urbanisme devait expressément identifier la zone dans laquelle le projet est envisagé comme étant ouverte à une extension de l’urbanisation ;
  • d’autre part, le projet devait être de faible ampleur, c’est-à-dire ne prévoir la réalisation que d’un petit nombre de constructions, elles-mêmes de faible importance, proches les unes des autres et formant un ensemble dont les caractéristiques et l’organisation s’inscrivent dans les traditions locales ;

L’idée était donc, tout en ne figeant pas indéfiniment l’urbanisation, de lutter contre le mitage, en autorisant que la construction d’un projet formant un ensemble organisé, ce qui impliquait, au moins en théorie, une réflexion cohérente autour du projet. Les constructions ne devaient pas seulement être proches géographiquement, elles devaient fonctionner comme un tout organisé et cohérent, typique de la culture locale (voir, par exemple, Cour Administrative d’Appel de Nantes, 22 mars 2013, n° 12NT02292).

La nouvelle rédaction de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme :

  • supprime cette possibilité de construction de « hameaux nouveaux » ;
  • confirme que l’extension de l’urbanisation au sein des communes littorales doit s’inscrire en continuité avec les agglomérations et villages existants, qui seront identifiés et localisés comme tels par le SCOT, et délimités précisément par le PLU ;
  • confirme que l’extension de l’urbanisation est impossible :
    – au sein de la bande littorale de cent mètres ;
    – au sein des espaces proches du rivage et des rives des plans d’eau.
  • créé une nouvelle hypothèse d’extension possible, dans les secteurs certes déjà urbanisés, mais non identifiés par les documents d’urbanisme comme agglomérations ou villages existants : des constructions et installations peuvent être autorisées, à des fins exclusives d’amélioration de l’offre de logement ou d’hébergement et d’implantation de services publics, lorsque ces constructions et installations n’ont pas pour effet d’étendre le périmètre bâti existant ni de modifier de manière significative les caractéristiques de ce bâti.

Par conséquent, il semble que cette hypothèse ne permettra que la densification du bâti existant, par soit la construction en dent creuse, soit la réhabilitation, soit la démolition/reconstruction d’immeubles.

Ces autres secteurs déjà urbanisés s’identifient par un faisceau d’indices, dont la liste non exhaustive est dressée par le texte : la densité de l’urbanisation, sa continuité, sa structuration par des voies de circulation et des réseaux d’accès aux services publics de distribution d’eau potable, d’électricité, d’assainissement et de collecte de déchets, ou la présence d’équipements ou de lieux collectifs.

Concrètement, il s’agit des espaces passés au travers du filet de la lutte contre le mitage de l’urbanisme, d’une densité relativement faible, pas ou peu organisés. Une qualification au cas par cas sera nécessaire. Il nous semble qu’une telle notion impliquera en tout état de cause une analyse plus souple que celle, susvisée, de construction de hameaux nouveaux, dès lors que l’on passe d’une logique d’exigence d’un ensemble cohérent à celle d’autorisation de projets individuels.

Les procédures de modification simplifiée des SCOT et des PLU

Afin d’intégrer les développements précédents, les SCOT et les PLU peuvent être modifiés par le biais d’une procédure de modification simplifiée, pour autant que cette procédure soit « engagée » avant le 31 décembre 2021.

Cette précision procédurale n’est pas tout à fait transparente, dès lors que les procédures de modification simplifiée sont caractérisées par une consultation moindre du public, et ce alors même que les enjeux de maîtrise de l’urbanisation en littoral, et de préservation des paysages, sont des enjeux sociétaux majeurs de notre temps, surtout à l’aune d’un phénomène de montée du niveau global des eaux.

 

Jean-Baptiste Dubrulle, Avocat associé chez Bignon Lebray  et  Kévin Holterbach, Avocat chez Bignon Lebray

 


1. Bilan gouvernemental de la loi littoral et des mesures en faveur du littoral – septembre 2007

Auteurs :

Jean-Baptiste Dubrulle

Jean-Baptiste Dubrulle

Avocat associé chez Bignon Lebray

Droit public & Environnement
Kévin Holterbach

Kévin Holterbach

Avocat chez Bignon Lebray

Droit public & Environnement

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