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Loi Egalim et restauration collective : quel bilan pour les produits durables et de qualité ?

Publié le 15 septembre 2023 à 11h00 - par

La loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (dite Egalim) est issue des États généraux de l’alimentation qui se sont déroulés en 2017.

Loi Egalim et restauration collective : quel bilan pour les produits durables et de qualité ?

Si la loi vise à s’appuyer sur la restauration collective pour améliorer la qualité nutritionnelle des repas servis, pour augmenter la part des produits durables et prévenir le gaspillage alimentaire, elle passe également d’une logique d’objectifs à des obligations en imposant un certain nombre de dispositifs pour les restaurants collectifs dont les personnes publiques ont la charge. Malgré ces obligations, les premières données collectées ne sont pas à la hauteur des enjeux et impliquent certainement une évolution du cadre législatif pour tendre vers une « exception alimentaire et agricole ».

1. Les obligations résultant de la loi Egalim

L’article L. 230-5-1 du CRPM dispose, qu’au plus tard au 1er janvier 2022, les repas servis dans les restaurants collectifs mentionnés à l’article L. 230-5 du CRPM dont les personnes morales de droit public ont la charge doivent comprendre 50 % de produits durables et de qualité dont 20 % de produits biologiques.

Par « produits durables et de qualité », il convient d’entendre, notamment, les produits bénéficiant d’un écolabel, les produits bénéficiant d’un symbole graphique « régions ultrapériphériques de l’UE », des produits issus d’une exploitation ayant la certification Haute Valeur Environnementale (HVE), les produits issus du commerce équitable ou encore les produits dont l’achat a été fondé sur les critères « performances environnementales » et « circuit court ».

Pour les « produits issus de l’agriculture biologique », seuls les produits ayant le label (national ou communautaire) agriculture biologique et les produits en conversion d’origine végétale portant la mention « produit en conversion vers l’agriculture biologique » peuvent être comptabilisés à ce titre.

À côté de ces deux obligations, à compter du 1er janvier 2024, les acheteurs publics devront également acquérir 60 % de viandes bovines, porcines, ovines et de volaille et des produits de la pêche répondant à la qualification de viandes et poissons durables et de qualité au sens de l’article précité. Pour les restaurants collectifs gérés par l’État, ses établissements publics et les entreprises publiques nationales, le taux est fixé à 100 %.

En pratique, ces parts correspondent à la valeur HT des achats de produits remplissant les conditions exigées rapportée à la valeur totale HT des achats des produits destinés à entrer dans la composition des repas servis pour chaque restaurant collectif. Autrement dit, pour 1 000 euros HT d’achats de produits alimentaires, au moins 500 euros HT doit correspondre à l’achat de produits durables et de qualité et au sein de cette part minimale de 500 euros HT, les produits biologiques doivent représenter au moins 200 euros HT.

Ces consommations doivent être déclarées sur la plateforme Ma cantine par les entités (publiques ou privées) gérant les restaurants collectifs concernés avant le 31 mars de l’année N+1.

2. Les premières données disponibles

Malgré l’obligation de déclarer les données pour les gestionnaires des restaurant collectifs, sur environ 90 000 cantines, 26 104 cantines sont inscrites (soit 29 %) et seulement 16 630 ont publié leurs données sur la plateforme (soit 18 %) au 31 juillet 2023.

D’après les données publiées sur la même plateforme pour l’année 2021, le taux global d’achats de produits durables et de qualité est de 23 % et le taux global de produits issus de l’agriculture biologique est de 10,6 %. En rentrant dans le détail, nous constatons que 365 restaurants collectifs (soit 11,5 % des déclarants pour 2021) ont atteint les objectifs fixés par l’article L. 230-5-1 du CRPM.

Ainsi, comme le précise le bilan statistique annuel de l’application des objectifs d’approvisionnement fixés à la restauration collective, « ces chiffres mettent en évidence que la moitié du chemin a été accomplie au regard des objectifs de 20 % en produits issus de l’agriculture biologique et de 50 % de produits durables et de qualité, objectifs à atteindre sur les achats de 2022 » tout en atténuant que cette analyse ne porte que sur 3,6 % des restaurant collectifs.

En outre, il convient de se rappeler que l’année 2022 a été marquée par une spirale inflationniste. Aussi, dans le cadre d’une audition au Sénat, le Syndicat national de la restauration collective (SNRC) estime qu’elle aura pour corollaire de freiner la montée en gamme fixée par la loi Egalim. De plus, il précise que les coûts des matières premières resteront élevés au regard du contexte de hausse de la population mondiale, et de la diminution du nombre d’agriculteurs en France et de la baisse des rendements du fait du réchauffement climatique et de la baisse de la ressource eau. Au-delà d’être impactée par le réchauffement climatique, toute la filière devra également s’attaquer à la décarbonation des denrées alimentaires.

3. L’enjeu de la décarbonation des denrées alimentaires

En 2019, l’alimentation représente environ 22 % de l’empreinte carbone moyenne d’un français soit le 3e poste d’émission de GES après le transport (30 %) et l’hébergement (23 %). Plus précisément, la viande et les boissons sont les 2° vecteurs d’émission avec respectivement 39 % et 20 %.

Avec un autre angle de lecture, les produits transformés issus de l’industrie agro-alimentaire représentent environ 52 % des émissions, les produits agricoles représentent 26 % et la restauration hors domicile représente 15 % (incuant la restauration collective).

Dès lors, la restauration collective doit s’adapter à cet enjeu en sélectionnant des produits de saison, en végétalisant ses menus, en achetant des produits labellisés agriculture biologique et/ou issus de l’agriculture raisonnée et surtout en achetant des produits qui ne parcourent pas des milliers de kilomètres pour arriver dans nos assiettes.

Conclusion

Dans une tribune publiée par le journal Le Monde en mars 2023, différentes associations d’élus (AMF, ADF, France Urbaine, Régions de France…) appellent à « mettre en cohérence le cadre juridique et les stratégies nationales et européennes (…) au profit d’un modèle agricole et alimentaire local, national, européen et mondial plus résilient ».

Concrètement, ces élus souhaitent la création d’une « exception alimentaire et agricole » ayant pour objectifs d’accompagner la transition environnementale, de protéger les agriculteurs locaux et d’assurer une qualité des  aliments. En effet, en l’état du droit positif, si le recours au critère du « circuit-court » est admis, l’introduction d’un critère relatif à la « proximité géographique » est prohibée.

Par conséquent, si les haricots verts cultivés au Kenya arrivent dans l’assiette du restaurant administratif via un seul intermédiaire, ce produit aura une bonne note au titre du critère « circuit-court ». En revanche, les émissions de GES seront multipliées par 32 par kg d’haricots verts en raison d’une importation par avion par rapport à une production locale selon une étude de l’Ademe de 2017.

Si le critère de la proximité géographique n’est pas un critère absolu d’émissions réduites de GES, en matière de denrée alimentaire, il permettrait également de participer à la lutte contre la déforestation importée dont l’Union européenne vient de se saisir à travers un nouveau règlement européen. Enfin, au-delà des enjeux environnementaux, la souveraineté alimentaire de la France impose que notre consommation soit cohérente avec notre production intérieure.

Baptiste Vassor, juriste, expert achat public et administrateur de l’APASP

Auteur :

Baptiste Vassor

Baptiste Vassor

Juriste, expert achat public et administrateur de l'APASP